Les mèmes sur le fait d'enlever son soutien-gorge à la fin d'une longue journée de travail n'ont été exacerbés que par le confinement. Aujourd'hui, mon téléphone est inondé de tweets et de selfies de personnes déclarant qu'elles n'ont plus du tout besoin de soutien-gorge, car elles ne quittent très peu leur domicile. En plus de ces déclarations de liberté en ligne, une question posée il y a des années lors du mouvement #FreeTheNipple est à nouveau posée : pourquoi est-ce que l'on portait un soutien-gorge en premier lieu ?
La réponse n'est pas aussi simple que de blâmer un système patriarcal pour nos bonnets rembourrés. Avant d'entrer dans les détails des corsets victoriens et de Victoria's Secret, je voudrais que l'on prenne davantage en considération ceux et celles d'entre nous qui considèrent cette pièce de lingerie comme une réelle nécessité. Car pour nous, la question elle-même est aliénante.
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En plus de la désexualisation des seins sur nos feeds, la célébration de la nudité s'est généralisée : le téton n'est plus le symbole d'un féminisme hautement politisé, mais bien celui de la rue. Cela a évolué vers des impressions sur des tote bags et des t-shirts avec des dessins de seins de différentes tailles, d'abord lancés par les artistes d'Etsy et maintenant disponibles sur des sites web de la fast fashion comme PrettyLittleThing. Et comme ces poitrines ne sont pas toutes des nichons parfaits, l'idée d'échanger un t-shirt punk et guilleret de Vivienne Westwood représentant des seins contre un dessin plus sagace peut sembler révolutionnaire, mais une fois encore, l'action ignore ceux et celles dont les seins sont utilisés pour mener cette nouvelle "rébellion".
À chaque étape de cette libération, nous nous sommes senti·es, moi et d'autres, de plus en plus comme des féministes ratées parce qu'on portait un bonnet F. De posts Instagram hyper positifs aux t-shirts féministes néo-libéraux, je me souviens de toutes les fois où mes seins ont été débattus par les autres et détestés par moi-même pour leur taille et leur forme. Mes pairs se souviennent que nos corps étaient autrefois diabolisés et sont maintenant monétisés, ce qui est aggravé par le fait que des personnes aux seins largement plus petits portent ces imprimés et que les grandes entreprises les utilisent à des fins lucratives.
Quand je parle à mes ami·es, ils·elles me disent tou·te·s que l'utilisation d'imprimés de seins flasques les met mal à l'aise. Mais je rencontre des points de vue divergents sur les raisons pour lesquelles cette tendance tote bag n'est pas aussi inclusive qu'il n'y parait. Charlotte, propriétaire d'une marque de bijoux indépendante à Londres, dit qu'elle voit le motif des seins tombants comme une sorte de plaisanterie aux dépens des personnes rondes. "Mon corps ne doit pas être fétichisé par les personnes minces, ni faire l'objet de plaisanteries", explique-t-elle. "Pour moi, c'est l'équivalent de porter un costume grande-taille : on ne me voit même pas comme une personne mais comme une caricature. Prendre de la place en tant que personne grosse et avoir confiance en moi demande beaucoup d'énergie, mais quand tous mes efforts sont rabaissés par une personne mince portant un t-shirt Primark à 3 €, cela donne envie d'abandonner".
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Le dessin d'un sein tombant est l'emblème de la caricature que les gros sont devenus pour un féminisme qui veut paraître intersectionnel sans aucune action réelle.
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Bien que Charlotte considère ces motifs comme déprimants, je garde l'espoir que les femmes qui portent des t-shirts et des crop tops avec des dessins de poitrines tombantes le font pour essayer d'avoir de l'empathie pour moi. Mais dans la même veine que de "libérer le téton" et de brûler nos soutiens-gorge, je vois ce type de solidarité comme un brin de féminisme superficiel et non-solidaire qui se concentre sur les femmes blanches, minces et cis. Une tentative d'inclusion qui n'approfondit pas les vraies racines des problèmes systématiques, mais qui ne fait qu'effleurer les sujets en surface qui s'appliquent aux tendances des hashtags.
Caitlin, une écrivaine de Belfast, voit elle aussi avec cynisme le concept de solidarité à travers ces vêtements : "Peu importe l'intention, elle sera toujours un peu bizarre", dit-elle. Caitlin évoque les artistes minces qui tirent profit de leurs dessins de corps ronds : "Ils le font pour 'paraître bien' devant un public féministe, plutôt que pour avoir un réel respect ou une appréciation des corps gros". Lauren, une artiste et photographe basée à Los Angeles, fait écho à ces sentiments. "J'apprécie votre 'solidarité', mais encore une fois, comment traitez-vous les personnes grosses dans votre vie ? Avez-vous même des amis gros ? (Un seul ne compte pas). Si vous ne faites que porter un motif de nichons pour soutenir les gros, alors non. Vous ne faites que le strict minimum".
Le sentiment de fausse solidarité dans le féminisme est omniprésent dans le hashtag du body positivisme sur Instagram, et les soutiens-gorge, sacs ou draps de lit avec des seins ne sont que la pointe de l'iceberg de la marchandisation des corps gros par le féminisme. Voir davantage d'images de corps partagés par nos pairs minces ne résout pas la grossophobie, cela souligne simplement à quel point leurs images sont différentes des nôtres. D'une certaine manière, cette symbolique ne sert pas à améliorer le bien-être de la communauté des personnes grosses. Au contraire, comme le dit Lauren, nous sommes "utilisés pour que les personnes minces se sentent mieux dans leur peau".
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Que ce bénéfice vienne du fait de se sentir heureu·se·x de ne pas nous ressembler ou d'avoir coché la case "bonne féministe" pour la journée, l'anti-sexisme qui ne sert qu'un seul type de personne est tout aussi dommageable que le sexisme originel lui-même. Que nous soyons une blague ou une tendance, notre représentation en tant que personnes a disparu. Le dessin d'un sein tombant est l'emblème de la caricature que les gros sont devenus pour un féminisme qui veut paraître intersectionnel sans aucune action réelle.
S'il est facile de sombrer dans le cynisme et la négativité avec de telles questions, Lauren me rappelle qu'il est important de réaliser que cette représentation n'a jamais existé auparavant. "Je suis en quelque sorte heureuse d'avoir un t-shirt avec une image qui ressemble plus à mon corps. Je pense qu'il peut être utile à d'autres personnes qui me ressemblent de le voir en public".
Marilyn, une artiste drag queen de Manchester, est d'accord. "J'aime bien cette rébellion de voir des corps qui ne sont pas typiquement sexualisés ou désirés sous le capitalisme être mis en avant par la mode. Le fait que d'autres types de corps soient représentés remet en question la norme et nous montre également que nos seins flasques peuvent être désirables. Tous les corps sont systématiquement réifiés sous le capitalisme. Cela ne devrait pas nous empêcher de célébrer les corps gros".
Bien que mon cynisme soit toujours d'actualité, Lauren et Marilyn font toutes deux preuve de bon sens. Peut-être que voir une représentation de mes seins aurait été plus facile si je les avais vus représentés dans le courant dominant. J'espère juste que ceux et celles qui font bouger ces représentations font plus pour leurs pairs plus-size que de suivre une tendance de dessin produite pour la fast-fashion.
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