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“C’est comme un deuil” : comment la pandémie a transformé nos amitiés

Photo par Eylul Aslan
"Je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemblent mes amitiés aujourd'hui", déclare Janelle*, 32 ans. "Depuis la pandémie, l'une de mes amies les plus proches, à qui j'envoyais des messages tous les jours, a totalement disparu. Je sais qu'elle est anxieuse et qu'elle se laisse facilement submerger, mais ça fait mal". Au cours de la même période, Janelle a connu de nombreux bouleversements : elle a changé deux fois de job et a déménagé de sa maison en colocation pour retourner vivre chez sa mère afin d'économiser de l'argent.
La vie a toujours eu tendance à changer rapidement. Même avant l'apparition du coronavirus, on pouvait se réveiller et découvrir que tout ce que l'on connaissait avait changé : les gens que l'on aime meurent, les relations prennent fin, les entreprises ferment. Mais les douze derniers mois ont exposé plus de gens que jamais à l'incertitude inhérente de l'existence humaine. Certaines de nos amitiés ont changé et nous le ressentons pour le meilleur et pour le pire ; mais la véritable portée de tout changement à long terme dans nos relations est encore en train de se révéler.
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Lors du premier confinement de 2020, des sociologues français·es ont mené une étude à grande échelle auprès de 16 000 personnes afin d'évaluer l'impact du confinement très restrictif qui y a eu lieu. Les participant·es étaient principalement des femmes ayant suivi des études supérieures. Les chercheur·ses ont constaté que l'un des principaux effets du confinement avaient privilégié certaines amitiés et même renforcé par une attention particulière et une communication accrue, tandis que d'autres se sont "dégradées".
Dans une vie (espérons-le) longue de plusieurs décennies, la pandémie apparaîtra un jour comme un simple incident pour des amitiés qui ont déjà duré plus longtemps que n'importe quel confinement. Néanmoins, celles et ceux qui ont répondu à l'enquête ont déclaré que cette période avait mis à rude épreuve et, dans certains cas, transformé leurs amitiés.
Janelle le ressent. "Je sais que le confinement a rétréci nos mondes respectifs, mais j'ai du mal à ne pas prendre personnellement le fait que mon amie est maintenant pratiquement injoignable. Il est rare qu'elle réponde à mes messages désormais. J'ai l'impression que nous nous sommes vraiment éloignées. J'ai l'impression d'avoir perdu un être cher".

Je sais que le confinement a rétréci nos mondes respectifs, mais j'ai du mal à ne pas prendre personnellement le fait que mon amie est maintenant pratiquement injoignable.

Janelle
Emma*, 26 ans, a vécu une expérience similaire. "Ma meilleure amie et moi avons toujours été comme des sœurs, mais lors du premier confinement, elle a entamé une nouvelle relation et a fini par emménager avec son partenaire à cause des restrictions. Elle vit maintenant très loin de moi et j'ai l'impression que nous nous sommes complètement éloignées. Je suis célibataire et, honnêtement, j'ai l'impression que nous nous sommes éloignées parce qu'elle a cessé de me donner des nouvelles et s'est réfugiée dans sa propre bulle avec son petit ami".
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Emma s'est donc sentie exclue et laissée pour compte. "Elle semble installée dans sa nouvelle vie maintenant et je n'en fais plus partie".
Pour les jeunes femmes en particulier - un groupe démographique auquel on a inculqué l'idée que si les amours vont et viennent, les amitiés sont éternelles - ces changements et ces dérives peuvent être particulièrement douloureux et difficiles à gérer. La graine de cette attente a été plantée lorsque, dans Sex and the City, Carrie et compagnie ont suggéré qu'elles, plutôt que les hommes, pourraient être les âmes sœur des autres. Mais tout comme les relations amoureuses, les amitiés peuvent également nous décevoir. Cela est particulièrement vrai à un moment où nous avons tou·tes·s été changé·es d'une manière ou d'une autre par l'expérience d'une pandémie. Les distances qui nous séparent à la sortie de ces confinements ne sont pas seulement géographiques. Certaines personnes ont eu des enfants, changé de carrière, perdu leur carrière. Et si certain·es ont entamé des relations, d'autres y ont mis fin.
Si nos amitiés ont changé, c'est peut-être parce que nous avons, nous aussi, complètement changé. Linda Blair, psychologue clinicienne et autrice de The Key To Calm, explique qu'il est important de réaliser que l'on n'est peut-être plus la même personne lorsqu'on sort de cette situation.
"Que nous ayons apprécié l'expérience ou non, nous avons été obligés de repenser nos vies", explique Linda. "Cela a été, pour certaines personnes, une chose merveilleuse, mais pour d'autres, cela a été horrible. Je conseille vraiment aux gens de prendre leur temps avec leurs amis au fur et à mesure que nous avançons ; ce que vous pensez de vos amitiés telles que vous les avez vécues dans des circonstances aussi pressantes n'est pas nécessairement le reflet de votre relation normale avec ces personnes".
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Nous devons essayer de garder un esprit ouvert, conseille Linda : considérez nos interactions sociales actuelles comme des missions d'enquête pour voir comment nous nous sentons dans nos amitiés. Elles ne seront peut-être pas les mêmes, mais nous pourrons peut-être nous retrouver avec un nouveau niveau de compréhension.
"Posez aux gens des questions sur eux-mêmes", déclare-t-elle, "voyez si vous pouvez apprendre à les connaître à nouveau, à renouer votre relation. Être intolérant au point de ne pas pardonner aux gens la façon dont ils se sont comportés dans des circonstances inédites dont nous n'avions pas été avertis reviendrait à annuler certains de vos propres comportements. Réfléchissez au stress que vous avez subi et donnez une chance à tous ceux que vous pensez pouvoir pardonner".

Je suis célibataire et, honnêtement, j'ai l'impression que nous nous sommes éloignées parce qu'elle a cessé de me donner des nouvelles et s'est réfugiée dans sa propre bulle avec son petit ami.

emma
Cependant, ajoute Linda, il y a des exceptions. "Si quelqu'un a été vraiment nuisible et toxique, il est normal de lui dire au revoir". Pour elle, il s'agit d'une personne qui vous fait "constamment et délibérément du mal". 
Au cours de l'année dernière, Kaya*, 29 ans, a agi exactement de la sorte. Elle a réalisé que sa meilleure amie était, comme elle le dit, "toxique" et l'a délibérément rayée de sa vie pour préserver sa propre santé mentale.
"Avant la pandémie, nous étions très proches et avions l'habitude de tout nous dire. On s'envoyait toujours des SMS ou on se tagguait mutuellement sur des mèmes. Je l'appelais ma meilleure amie, la personne vers laquelle je me tournais en cas de crise", explique Kaya. "Notre amitié n'était cependant pas parfaite. Elle essayait parfois de me décrédibiliser (par exemple si j'avais réussi quelque chose de notable au travail) et il lui arrivait de faire des commentaires désagréables sur mes vêtements ou mon maquillage. Mais elle a toujours été brutalement honnête et je mets cela sous le compte qu'elle soit une Sagittaire de novembre".
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Tout a changé quand le petit ami de Kaya a rompu avec elle pendant le premier confinement. C'est la dernière fois qu'elle a vu son ancienne amie. "Bien qu'elle soit venue me soutenir, elle m'a donné des conseils vraiment horribles et j'ai eu l'impression qu'elle essayait d'aggraver la situation ou de semer le trouble. Ensuite, le deuxième confinement a eu lieu et le fait de passer du temps loin d'elle m'a fait prendre conscience que je me sentais vidée à chaque fois que je lui parlais et qu'elle me faisait me sentir mal dans ma peau".
Ce n'est que lorsqu'elle a passé du temps seule que Kaya a eu le sentiment de pouvoir réfléchir à cette amitié. Le confinement, dit-elle, lui a appris à "protéger" sa "tranquillité d'esprit", ce qui lui a fait prendre conscience que cette amie la rendait anxieuse. Elle a commencé à réfléchir au fait que son amie avait l'habitude de faire des commentaires désobligeants sur son apparence : "Elle avait l'habitude de faire des commentaires sur mon apparence ou mon maquillage". En plus de cela, elle dépréciait ses accomplissements au travail : "Elle se moquait même de mes réussites".
Pour Kaya, avoir l'espace nécessaire pour se détacher lentement a été extrêmement bénéfique. Elle dit s'être entourée d'autres ami·es qui la rendent positive. "Je ne pense pas que cela serait arrivé sans la pandémie", réfléchit-elle. "Je pense que nous nous retrouverions encore régulièrement pour dîner et boire un verre et qu'à chaque fois, je repartirais probablement en me sentant mal et le cycle continuerait. Nous nous sommes envoyées un texto pour nous souhaiter un joyeux Noël, mais je ne lui ai pas parlé depuis et je n'en ai aucune envie, pour être honnête. Parfois, les amitiés ont une fin naturelle".
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Certaines déchirures seront irréparables et d'autres, avec le temps, se résorberont. "J'aime penser aux amitiés comme à un oignon", dit Linda. "Nous avons des couches intérieures et des couches extérieures. Les prochains mois - et je dis bien mois, car il s'agit d'un processus - consisteront à décider qui nous autorisons à rester dans les couches intérieures et qui doit passer dans les couches extérieures en ne disant bonjour que si nous les croisons dans la rue".
Pour cet article, j'ai parlé à des dizaines de personnes, qui avaient toutes des histoires similaires. Elles ont toutes ressenti un sentiment de perte et certaines se sont décrites comme étant en deuil face à l'évolution de leurs amitiés. Notre monde a changé, il s'ensuit que nous avons également évolué et nous sommes adapté·es. Quoi que nous fassions ensuite, Linda estime que la bienveillance et la compassion sont essentielles. "Ralentissez", ajoute-t-elle, "prenez votre temps et réfléchissez à ce que vous attendez de vos amis".
Si la situation reste désespérée, rappelez-vous qu'il existe des personnes que vous n'avez pas encore rencontrées. Des personnes qui ont également travaillé sur elles-mêmes pendant cette période et qui chercheront à établir de nouvelles connections.
"J'ai récemment commencé à utiliser Bumble BFF", me confie Emma. "J'étais vraiment nerveuse à ce sujet, mais cela m'a été très utile ! J'ai rencontré et créé des liens avec des gens qui vivent près de chez moi. J'ai toujours l'impression que la loyauté que j'ai envers mes plus anciens amis n'a pas été réciproque, mais je rencontre des gens qui ont vécu des choses similaires aux miennes. Et puis, qui sait ce qui se passera à l'avenir…".
*Les noms ont été modifiés pour protéger les identités.

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