"Quand je suis avec eux, j'ai honte et je me sens un peu comme une outsider", explique Emma*, 33 ans, de deux de ses amis les plus proches. Elle décrit une scène apparemment banale : ils se sont retrouvés à la fin de l'année, pour prendre un verre dehors et rattraper le temps perdu. Mais compte tenu de la crise sanitaire, des situations comme celle-ci, avec les règles et restrictions qui les accompagnent, ne sont plus aussi simples qu'auparavant. Est-ce que vous tapez du coude pour dire bonjour ? Un mètre, c'est large comment au juste ?
Autrefois joyeuses et légères, les réunions entre ami·e·s se déroulent aujourd'hui dans un climat parfois tendu, et les disputes ne sont pas rares.
PublicitéPUBLICITÉ
Lors de la rencontre en question, les copains d'Emma se sont fait la bise et s'apprêtaient à faire de même avec elle avant de reculer et de dire d'un ton moqueur : "Ah oui, tu ne fais pas la bise toi".
"Je me suis sentie vraiment conne, comme si je prenais tout ça trop au sérieux", dit-elle. "Ils voulaient rentrer parce qu'il faisait froid, mais nous n'étions pas censés se voir à l'intérieur, et c'est moi qui ai dû dire quelque chose. Je me suis sentie trop mal et j'avais l'impression d'être la “relou” du groupe".
Ce sentiment de malaise est quelque chose que Claire*, 21 ans, peut comprendre. "Plus d'une fois, j'ai demandé innocemment si des amis respectaient les règles sanitaires et ils l'ont pris comme une critique. Ça crée tellement de tension : nos discussions de groupe habituelles sont devenues déprimantes, car tout le monde craint de dire ce qu'il ne faut pas.
“
Une amie à moi est partie en week-end avec un gars en plein confinement. Elle avait eu le Covid.
Emma*
”
Claire a été très marquée par l'un de ces incidents. "J'ai demandé à une personne si elle s'était fait tester, car j'avais vu qu'elle avait assisté à un rassemblement - quand ils étaient autorisés - et j'ai fini en larmes au téléphone, m'excusant même d'avoir posé la question".
Cela soulève une question sérieuse : que faire quand vos amitiés sont mises à rude épreuve par les mesures sanitaires ? Emma me raconte qu'une de ses amies était partie passer le week-end avec un gars en plein confinement. "Ça m'a mise tellement en colère", confie-t-elle. "Elle a elle-même été hospitalisée à cause du Covid". Rachel*, 30 ans, décrit l'horreur qu'elle a ressentie en voyant ses amis quitter Londres pour rentrer chez eux à l'autre bout du pays pour Noël, étalant le tout sur les réseaux sociaux. "Je comprends parfaitement que Noël ait été une période difficile, mais c'est tellement frustrant de voir ça. C'était très injuste pour tous ceux qui faisaient des sacrifices. J'ai l'impression qu'on paye tous pour ces écarts".
PublicitéPUBLICITÉ
Contrairement à d'autres questions ou sujets sur lesquels les amis peuvent être en désaccord, les sentiments concernant les restrictions sanitaires découlent d'un sentiment de peur, déclare la psychologue clinicienne Linda Blair. "L'effet de ces restrictions est très direct et personnel. C'est pourquoi les gens expriment tant de passion à ce sujet. La colère est une émotion qui dissimule souvent la peur".
En effet, s'il y a une chose sur laquelle nous pouvons être d'accord, c'est que l'année dernière, la population générale vit dans l'angoisse permanente et s'est mise à scruter à la loupe des actions autrefois banales. Mais bien que l'on puisse avoir l'impression que les règles sanitaires sont enfreintes de toutes parts, ou, tout du moins, que certaines personnes font preuve de beaucoup d'imagination pour les contourner, certaines statistiques montrent que le respect des règles a été généralement étonnamment élevé.
Au Royaume Uni, une étude de l'University College London a révélé que plus de 90 % des personnes ont déclaré avoir respecté la majorité des règles au cours du troisième confinement. Même si les Français·ses sont un peu moins bon·ne·s élèves, selon l'enquête CoviPrep lancée par Santé Publique France, une grande majorité de la population interrogée indique respecter les mesures sanitaires, en particulier en ce qui concerne les mesures de distanciation physique (entre 77 et 83 %) et le port du masque (85 %). Selon un article d'opinion du British Medical Journal, ce sentiment de (non) respect des règles COVID a été largement amplifié par les médias, ce qui a permis de passer sous silence les lacunes du gouvernement et de la politique de santé publique alors que nous nous empressons tous de nous blâmer les uns les autres.
PublicitéPUBLICITÉ
Mais dans quelle mesure est-il important de s'intéresser à ce que font les autres quand, comme on nous le dit si souvent, les seules actions que l'on peut contrôler sont les nôtres ?
“
Dans quelle mesure est-il important de s'intéresser à ce que font les autres quand les seules actions que l'on peut contrôler sont les nôtres ?
”
La confusion des messages est un autre problème qui n'a certainement pas aidé. Aussi claires que les règles de confinement puissent paraître à première vue, elles laissent une marge de manœuvre importante pour des interprétations "créatives" de la législation - dont les responsables gouvernementaux eux-mêmes se sont rendus coupables - sans parler du grand n'importe quoi qui a parfois été fait dans la communication des restrictions.
“
Essayez de garder à l'esprit que c'est une période éprouvante et très particulière et ne soyez pas trop prompt à mettre fin à une amitié.
Linda Blair
”
Que faut-il faire alors si vos ami·e·s ne respectent pas les règles ou si vous vous trouvez en conflit quant à leur interprétation des restrictions ? Vous avez tout à fait le droit de vous sentir en colère : ces règles sont en place pour une raison et avec tant de morts et la possibilité d'un troisième confinement qui plane toujours, la frustration et l'exaspération sont des réactions tout à fait normales. Le choix que vous devez faire, cependant, n'est pas de savoir comment contrôler les actions de votre ami·e ; c'est la façon dont vous réagissez à la situation. Si vous acceptez de vivre avec les imprudences d'un·e ami·e (et de ne pas les juger de quelques manières que ce soit ; chaque situation est unique), alors souvenez-vous que si vous pouvez être fortement en désaccord avec les points de vue ou les opinions d'un·e ami·e, il a (avec un peu de chance !) d'autres qualités qui en ont fait votre ami·e au départ. Essayez de garder à l'esprit que c'est une période éprouvante et très particulière et ne soyez pas trop prompt à mettre fin à une amitié, conseille Blair.
PublicitéPUBLICITÉ
Si vous décidez de les confronter sur la question, allez-y avec précaution. "Vous ne les ferez pas changer d'avis", déclare franchement Blair. Quoi que vous fassiez, essayez de rester calme et logique. "Si vous essayez de vous exprimer tout en étant émotif, vous ne serez presque certainement pas satisfait du résultat", explique-t-elle. "Mais si vous avez l'impression que c'est mieux de ne pas en parler - parce que la situation n'est pas définitive - alors n'en parlez pas". Il y a un point sur lequel elle est catégorique : "Ne faites pas de concessions avec vos propres convictions parce que vous vous sentirez beaucoup plus angoissé".
Rédiger une note ou une lettre - essentiellement quelque chose que vous ne pouvez pas envoyer immédiatement - est une excellente manière de communiquer votre point de vue à un ami, explique Blair. Prendre note de vos sentiments au plus fort de leur intensité peut même être un exutoire suffisant. Mais si vous décidez d'envoyer la note, l'éditer avec l'esprit plus calme augmente les chances d'avoir un impact significatif sur l'ami en question.
Et que faire si vous avez le sentiment que l'amitié a été irrémédiablement affectée ? Laissez les choses se calmer et prenez vos distances pour l'instant, mais il est préférable de laisser s'écouler un peu de temps avant de prendre une décision qui risquerait de changer votre vie et l'avenir de votre relation définitivement. Blair explique que cela ne vaut pas la peine de renoncer à vos amitiés tant que vous n'avez pas exploré toutes les possibilités. Après tout, la pandémie nous a appris quelque chose de très précieux : "Si nous avons appris une chose cette année, c'est que nos relations sont fondamentales".
*Les noms ont été changés
PublicitéPUBLICITÉ