Anjuli Selvadurai est née à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Sa mère a quitté le Royaume-Uni pour s'y installer dans les années 1970. Son père est né et a grandi à Kuala Lumpur avant de s'installer à Wellington dans la vingtaine.
Selvadurai a grandi sans aucune représentation dans les médias, ce qui lui a donné l'impression de devoir cacher sa culture pendant sa jeunesse. "Avec l'âge et grâce à la création artistique, j'ai commencé à décortiquer les intersections entre le fait d'être une femme métisse, enfant de la diaspora et Néo-Zélandaise de première génération." Son projet photo, Spice Girl, est né de la nature conflictuelle de ces expériences.
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Aujourd'hui âgée de 22 ans et forte de ses études de photographie, Selvadurai a trouvé un moyen de comprendre ses sentiments de déracinement et d'appartenance et se sert de son art pour explorer ce que représente la vie d'une jeune femme de différentes origines.
"Même si j'ai eu une enfance très heureuse, j'avais l'impression de ne jamais être tout à fait à ma place dans la culture occidentale ou sud-asiatique et cela m'inspirait du ressentiment d'une certaine manière. Je n'arrivais pas à m'identifier aux images de femmes sud-asiatiques parées de bijoux en or et de saris brodés, et je me sentais loin des femmes que je voyais représentées dans les médias occidentaux." Ainsi, pour elle, la photographie n'a pas pour objectif de prendre des photos techniquement parfaites, mais sert plutôt à visualiser ces petits décalages dans la façon dont elle se voit. "Dans la plupart de mes œuvres, je vise à créer un espace où je peux exister librement et où je me sens autorisée à être représentée comme je le souhaite vraiment."
Les symboles des deux cultures s'entremêlent dans les photos de Selvadurai pour créer l'image complète d'une identité. Chaque photo présente un portrait solo dans lequel saris et lunettes de soleil, boucles d'oreilles et débardeurs sont enveloppés dans de chauds magentas, oranges et dorés. Parfois, les portraits sont présentés en collage sur des fonds de tissus brodés. "Comme mes expériences avec mon identité tout au long de ma vie ont été assez solitaires, je voulais que cette solitude se reflète dans mon travail et j'ai donc décidé de photographier une seule personne tout au long de la série." Le modèle est une jeune fille nommée Shakira, qui partage les mêmes origines que la photographe, ce qui leur a permis de naturellement s'identifier l'une à l'autre avec beaucoup d'empathie.
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"En projetant sur elle les sentiments de mon adolescence, je voulais créer la représentation rêvée d'une fille qui serait sa propre muse", explique Selvadurai. Cette idée d'empowerment et d'acceptation de soi est très présente dans tout son travail. Elle a depuis réalisé une série d'autoportraits intitulée Gita, qui célèbre les contrastes de ses deux cultures.
"Le thème de l'enfance revient souvent dans mon travail, car beaucoup de mes tensions identitaires sont nées à cette période de ma vie. Curieusement, je repense à ces années d'innocence et à ce sentiment d'appartenance avec une certaine nostalgie." Le nom de sa série, Spice Girl, est né de ce sentiment, comme un clin d'oeil au girl band de sa jeunesse, les Spice Girls. Lorsqu'elle était petite et qu'elle imitait le groupe avec ses amies, dit-elle, on lui attribuait automatiquement Scary Spice. Un parfait exemple de cette confusion douloureuse et absurde des identités et des cultures qui touche des femmes qui lui ressemblent partout, tous les jours.
La plupart de ces photos ont été prises dans le jardin de Selvadurai. Avant la séance, les deux femmes s'asseyaient, buvaient le thé et discutaient de leurs idées pour le shooting. Elles fouillaient dans le dressing de Selvadurai, choisissaient des accessoires, rassemblaient les looks qui leur plaisaient, puis créaient un studio de fortune à la lumière du soleil. "En drapant des saris sur la corde à linge, j'ai créé un petit coin qui faisait écho à ma propre enfance - un endroit pour discuter et jouer. L'ensemble du processus a été extrêmement rafraîchissant, travailler avec quelqu'un de similaire m'a donné un aperçu de la façon dont mon travail pourrait parler à d'autres personnes qui nous ressemblent."
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Le cliché de la série que Selvadurai préfère est celui de la main de Shakira reposant sur le tissu d'un sari vert mousse. Il est orné de doré et de rose et brille à la lumière. Cette photo la touche particulièrement, car c'est aussi l'un des moments préférés de Shakira. "Elle s'était fait faire du henné pour le shooting et je me souviens qu'elle était très enthousiaste", raconte avec émotion Selvadurai. "Elle m'a dit qu'elle avait été complimentée par ses ami·es et qu'elle était très fière de le montrer à l'école. Cela m'a fait plaisir." Montrer à Shakira que chaque partie d'elle est belle, voilà ce dont il s'agit vraiment.
En définitive, Selvadurai espère que les personnes qui ont déjà eu l'impression de ne pas avoir leur place quelque part ou de ne pas se fondre dans une communauté pourront apprendre à s'accepter et s'épanouir dans cet entre-deux. "Vous pouvez vous aussi y trouver votre place", dit-elle. "Je veux que tout le monde se sente fier de ses origines, quelles qu'elles soient". Se basant sur ses expériences personnelles et le temps qu'elle a passé sur ce projet, Selvadurai estime que notre société a encore beaucoup à faire pour mieux représenter les personnes d'origine sud-asiatique.
"En tant que Néo-Zélandaise de première génération et femme d'origine britannique et tamoule sri-lankaise/malaisienne, je suis convaincue que la représentation est essentielle. Quand j'étais petite, j'aurais aimé voir cette représentation. Je veux voir plus de femmes sud-asiatiques, de personnes s'identifiant comme femmes et de personnes non-binaires dans les médias occidentaux mainstream. Des gens qui me ressemblent et qui vivent les mêmes expériences que moi." Faire des photos qui parlent de ces questions a été déterminant pour son sentiment d'identité. "Sans mon art", dit-elle pensivement, "je serais probablement perdue".