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Je laisse mes filles porter du maquillage (même si ça dérange)

Design: Anna Jay.
"Moi, je n'ai jamais laissé mes filles jouer avec ces trucs là", voilà ce que m'a récemment fait remarquer ma voisine, une femme de 69 ans au physique de fée, à propos du fard à paupières à paillettes de ma fille aînée. Luna, ma fille, l'avait sorti de ma trousse à maquillage ce matin-là et avait peint sur son visage comme elle l’aurait fait sur un tableau, émerveillée par chaque tache brillante qui apparaissait sur ses paupières. "Je sais que tu es féministe, chérie, mais à mon époque, ça voulait dire renoncer au maquillage. Tes filles doivent apprendre à se sentir valorisées et belles sans cette daube."
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Ce n'était pas la première fois que quelqu'un me faisait une remarque contre les effets possibles de l'exposition de mes filles, âgées de 3 et 1 ans, aux maquillage. Je vis à Hebden Bridge, une ville du Yorkshire connue par les étrangers (si tant est qu'ils la connaissent) pour sa population hippie. Dans les années 70, les hippies s'y sont installés par douzaines. Certains spéculent que ça a quelque chose à voir avec l'abondance de champignons psychédéliques qui poussent dans la campagne environnante. Mais c’est peut-être également lié au fait qu’il était également relativement abordable de vivre ici à l’époque.
C'est aussi une ville ancrée dans le féminisme de seconde vague. Beaucoup de personnes, comme ma voisine (que j'adore, pour info) et de jeunes (élevés, peut-être, par les premiers gauchistes de la région), sont engagés dans un rejet de la mode et de la beauté dominantes (outils patriarcaux utilisés pour opprimer). Certain·es condamnent le travail du sexe et, avec lui, les travailleur·euses du sexe. D'autres, à juste titre, continuent de se battre pour s'écarter des rôles hétéro normatifs traditionnels — pour un monde dans lequel il n'est pas attendu des femmes, ni imposé qu’elles s’occupent de la maison. Tout ça pour dire que je connais beaucoup de monde qui n'est pas exactement fan du maquillage.
J’arrive à le comprendre — vraiment. L'auteure et militante féministe, Julie Bindel a écrit pour The Independent : "Les femmes qui se maquillent passent en moyenne neuf jours entiers par an à se maquiller [...] Le manque de confiance dans leur apparence naturelle est tel que 15 % des femmes hétérosexuelles interrogées sur leurs "routines beauté" ont révélé qu'elles se maquillent avant le réveil de leur partenaire, et 41 % d'entre elles ont déclaré qu'elles se sentaient trop gênées pour s'en passer.
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"Il y a de fortes récompenses en réserve pour les femmes qui se conforment à la féminité, ainsi que des punitions et de la désapprobation pour celles qui la rejettent, comme le fait d'être verbalement ou physiquement attaquées pour ressembler à un homme", poursuit-elle. "Le libre choix de se maquiller n'existe que si le choix de ne pas se maquiller n'est pas une option stigmatisée".
Je suis une femme queer et ronde qui défend le body-positivisme, je ne suis donc pas étrangère à la façon dont notre culture récompense et punit les personnes en fonction de leur apparence physique. On nous enseigne que la minceur est la clé de la beauté, du succès, du bonheur et du bien-être. Nous sommes déshumanisé·es lorsque nous ne correspondons pas à ce modèle. Il y a beaucoup de femmes qui se sont senties déshumanisées parce qu'elles ne se conformaient pas aux autres normes de beauté, y compris, eh bien, la beauté — c'est-à-dire les produits que nous mettons sur nos visages.

Je les laisse utiliser leur palette pour dessiner sur mon visage et celui de mon mari (et de leurs animaux en peluche) comme elles le feraient sur un tableau. Je m'assure aussi qu'elles me voient souvent sans aucun maquillage. 

Et pourtant, je laisse mes filles jouer avec mon maquillage. J'ai laissé quelqu'un leur offrir une palette de maquillage en bois, pour qu'elles puissent jouer à faire semblant pendant que je me maquille. Je les laisse utiliser leur palette adaptée aux enfants pour dessiner sur mon visage et celui de mon mari (et de leurs animaux en peluche) comme sur un tableau. Je m'assure aussi qu'elles me voient souvent sans aucun maquillage. 
Si Bindel a raison, et que le libre choix de se maquiller ne peut exister que si le fait de ne pas se maquiller n'est pas une option stigmatisée, je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas le stigmatiser. Pour moi, et pour de nombreuses féministes de la quatrième vague qui ont grandi avec Tumblr et des radicales·aux aux cheveux roses, ce n'est pas un sentiment difficile à manifester. Je suis fat-positive. Je crois pleinement à la célébration des différences qui existent entre nos corps, nos visages et nos êtres — et au démantèlement des hiérarchies corporelles qui affectent tant de vies.
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Photo courtesy of Marie Southard Ospina.
J'apprécie chacun de mes bourrelets et ma peau d'orange, comme j'apprécie les cernes sous mes yeux et les taches rosées sur mes joues. Mes filles le savent bien. Je le leur dis régulièrement. Je ne critiquerais jamais mes bourrelets ou mes rides, car il n'y a rien à critiquer. Le langage de la honte corporelle, si elles l'apprendront inévitablement, ne sera pas appris à la maison. J'en suis convaincue. C'est pourquoi je sais également que me maquiller ne leur fait pas de mal.
En parlant de sa fille de 3 ans, Courtney Mina dit : "C'est à moi qu'il incombe de lui apprendre que la beauté vient de la personne qu'elle est, et non du maquillage. Le maquillage ne nous rend pas " belles ". Nous sommes déjà belles. C'est simplement une façon de jouer et de nous exprimer, ainsi que d'exprimer notre créativité — comme on peut le faire avec notre style vestimentaire".
Que ce soit à la maison, à l'épicerie ou au parc, Mina garde souvent son visage naturel. En devenant une femme, j'ai laissé derrière moi l'idée que j'avais "besoin" de maquillage et je l'utilise maintenant comme moyen d'expression [...] Nous ne sommes plus dans les années 70. Je crois fermement que le féminisme progressiste devrait soutenir le choix de chaque femme en ce qui concerne la façon dont elle s'exprime et ce qu'elle fait de son corps. Il est dangereux de faire des généralités sur ce que les femmes "devraient" ou "ne devraient pas" faire. 
Kat Stroud, également mère d'un enfant de 3 ans, est d'accord. "Je dirais que l'équilibre, comme pour tout ce qui concerne l'éducation des enfants, est essentiel. J'aime montrer à ma fille les deux. Nous prenons des photos de moi avec et sans maquillage régulièrement, c'est pourquoi je pense qu'il est important de leur montrer le même niveau de confiance que vous avez quand vous êtes maquillée et que quand vous ne l'êtes pas. Elle apprendra ainsi que le maquillage est un plus, et non une nécessité".
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Le maquillage ne sera jamais considéré comme quelque chose de nécessaire dans notre foyer. Il sera plutôt une forme de jeu, d'habillage, d'expérimentation et de créativité.

En ce qui concerne les idées de seconde vague sur la beauté, Mina et Stroud comprennent tous les points qui sont habituellement soulevés. Le maquillage a été, à de nombreuses reprises dans l'histoire, attendu des femmes. Les visages nus et la "beauté naturelle" sont rarement célébrés. L'idée qu'un visage naturel est "laid" est répandue au point que certaines femmes n'ont jamais laissé leur partenaire, leurs enfants ou leurs amis les voir sans maquillage. On peut et on doit lutter contre tout ça, mais il ne faut pas pour autant éradiquer totalement les cosmétiques. "Je ne crois pas qu'il soit de notre devoir de détruire l'idée de porter du maquillage", explique Mina, "mais plutôt de changer l'attitude qui l'entoure, et je crois fermement que c'est ce qui se passe en ce moment".
Comme pour la minceur, le problème n'est pas que certaines personnes soient minces, mais que tout le monde doit l'être et que le non-respect de ce principe a des conséquences. Le problème n'est pas que le maquillage existe ou que certaines personnes aiment en porter. C'est que le maquillage est souvent imposé aux femmes, y compris à celles qui préfèrent ne pas en mettre.
Le maquillage ne sera jamais considéré comme quelque chose de nécessaire dans notre foyer. Il sera plutôt une forme de jeu, d'habillage, d'expérimentation et de créativité. Je dirai à mes filles que j'aime parfois me maquiller, comme elles le feraient sur un morceau de papier. Comme nous pourrions peindre un vieux meuble, non pas parce qu'il en a besoin, mais parce que c'est marrant de le faire. Et si elles perdent leur intérêt pour les produits cosmétiques passé l'âge de 3 ans, ça ira aussi très bien.

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