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En tant que femme trans, je comprends la pression de “passer”. Mais pas à n’importe quel prix

Des inégalités en matière de santé aux discriminations, il est indéniable que la communauté trans est confrontée à nombre de difficultés. L'enjeu de "passer" - en particulier les normes de beauté irréalistes et dangereuses - est un thème que les personnes tranféminines et transmasculines souhaitent également mettre en lumière. Et avec la Semaine de sensibilisation aux réalités transgenres qui a eu lieu la semaine dernière, c'est la parfaite occasion pour aborder ce thème.
Par définition, le "passing" désigne le moment où une personne transgenre est perçue comme étant cisgenre, explique Eva Echo, militante transgenre qui a fondé la campagne Pass It On en collaboration avec la plateforme LGBTQ, Unite UK. L'objectif ? Faire tomber les barrières des idéaux de beauté et de représentation intériorisés et offrir aux personnes trans et non-binaires un espace sûr où elles peuvent être leur "moi authentique", tant mentalement que physiquement.
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"L'idée de passer peut être toxique", explique Eva à Refinery29, "surtout lorsqu'on ne correspond pas aux normes typiques." Être mince, joli·e et blanc·he : une triade qui imprègne tous les aspects de la beauté, même pour les personnes cisgenres. Mais pour la communauté trans et non-binaire, en particulier les femmes trans, cette pression est exacerbée par la dysphorie de genre (lorsque le sexe attribué à la naissance d'une personne et son identité de genre ne correspondent pas). "Les femmes cisgenres ont du mal à correspondre aux normes de beauté fixées par l'industrie. Une situation déjà difficile, sans dysphorie de genre", explique Eva.

Pour les personnes trans et non-binaires, passer est synonyme de sécurité, mais la pression peut être douloureuse

Bien sûr, le "passing" ce n'est pas qu'une question d'apparence. Cela offre principalement une protection aux personnes trans et non-binaires. "Passer est important, surtout au début d'une transition", indique Eva. "C'est une forme de validation et ça donne l'impression que l'on peut être accepté par la société. C'est aussi une question de sécurité. Lorsqu'on transitionne de A à B, cela aide, car personne ne vous remarque et vous pouvez évoluer sans difficulté dans la société".
Bien qu'Eva n'ait jamais subi de violences, elle se souvient d'un incident qui s'est produit peu après son coming-out. "Je fermais mon studio de tatouage et un homme me fixait depuis sa voiture", raconte-t-elle à R29. "Quand il a réalisé que j'étais trans, son visage s'est mué en une expression de dégoût et de colère. C'était comme si j'étais à blâmer pour avoir provoqué chez lui un sentiment de souillure ou de tromperie et de déception. J'ai eu des expériences similaires lors de sorties nocturnes et dans ces moments-là, j'ai l'impression que tout peut arriver". Eva précise que si l'idée de passer peut être libératrice, elle peut aussi s'avérer destructrice.
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"D'après mon expérience, beaucoup de gens se concentrent sur l'aspect physique de la transition et sur le fait de correspondre aux critères physiques", explique Eva à R29. "Je pensais que l'hormonothérapie et la chirurgie feraient de moi ce que je suis. Trois ans plus tard, l'image que j'ai de moi-même est tellement différente de celle que j'avais à l'époque. Je me sens beaucoup plus en paix parce que je n'essaie plus de poursuivre cette image de corps idéal". Eva mentionne que la course à l'acceptation d'un idéal met simplement une pression accrue sur les personnes transgenres. "Cela accentue la dysphorie de genre, aggrave les problèmes de santé mentale, comme la dépression, et peut augmenter le risque de suicide", explique Eva. Une étude récente a révélé que les personnes transgenres qui ont été victimes de discrimination, notamment de harcèlement et de violence, sont plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale et de penser au suicide. Des études menées en France, en Europe et aux Etats-Unis mettent en évidence des chiffres alarmants : tandis que le risque de passage à l'acte est 2 à 5 fois plus élevé chez les jeunes LGBTQ que chez les jeunes hétérosexuel.le.s, les personnes trans ont jusqu’à 10 fois plus de risque de passer à l'acte que leurs pairs cisgenres. En outre, 69 % des jeunes trans auraient déjà eu des pensées suicidaires.
Ce besoin obsessionnel de passer pour pouvoir vivre peut avoir de terribles conséquences, dit Eva. "Certaines personnes pensent que quoi qu'elles fassent, elles n'y arriveront pas. Elles se disent : "À quoi bon ? J'ai récemment parlé à une étudiante qui voulait désespérément se faire opérer du visage avant d'aller à l'université, de peur que les gens ne la "démasquent". Elle n'avait même pas été diagnostiquée ou n'avait même pas commencé de thérapie hormonale, mais la façon dont elle était perçue par les autres la rongeait et c'est vraiment déchirant".
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Ce désir de passer pousse certaines personnes trans à mettre leur santé en danger au profit d'interventions chirurgicales rapides et abordable

Selon Eva, qui connaît un certain nombre de personnes trans qui ont choisi de se rendre à l'étranger pour se faire opérer, le sentiment de devoir passer par la chirurgie esthétique peut prendre le pas sur la sécurité. Les destinations les plus populaires sont l'Inde, la Thaïlande et la Turquie, où, selon le chirurgien, la chirurgie esthétique peut coûter deux fois moins cher qu'en France. Mais les choses peuvent mal tourner. Mais comme l'idée que "passer" est essentiel est largement répandue dans la communauté trans, de nombreuses personnes font passer le coût, avant leur santé ou leur sécurité".
Le désir de passer et de véhiculer une certaine image de beauté met souvent les personnes trans et non-binaires dans une position de vulnérabilité et facilite leur exploitation pour la chirurgie. En tant qu'ambassadrice de la London Transgender Clinic, Eva veut que les gens sachent qu'il est important de ne pas improviser ou espérer que tout aille pour le mieux juste parce que vous êtes persuadé·e que vous devez avoir une certaine apparence. Eva évoque ouvertement la chirurgie esthétique sur son blog, Square Peg, Round Hole. "La chirurgie est une zone grise", dit-elle. "Elle est là pour soulager les symptômes de dysphorie de genre et pour corriger certains aspects que vous n'aimez pas. Elle a pour but de nous aider, et non de nous définir. Il y a une chronologie que beaucoup de personnes trans et non-binaires semblent suivre : obtenir un diagnostic, suivre une thérapie hormonale, se faire refaire les seins, puis subir une chirurgie faciale. Mais ce n'est pas forcément nécessaire. Cela ne fait que perpétuer l'idée que si vous voulez que l'on vous accepte comme personne trans, cela ne sera possible qu'une fois que vous serez arrivé au terme [de cette chronologie]". Pour Eva, il s'agit moins d'un objectif physique, axé sur l'image, que d'un parcours de transition.
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Pour un vrai changement, l'acceptation doit venir de l'intérieur de la communauté trans

Au sein de la communauté transgenre, ce ne sont pas les critiques qui manquent, dit Eva. "Il n'est pas inhabituel de se juger les un·e·s les autres sur le fait de passer ou non", ajoute-t-elle, se souvenant d'un moment particulier de malaise lors d'un événement. "Ce lieu était censé être un espace sûr pour les personnes transgenres, mais on pouvait sentir la tension Mean Girls. J'ai constaté qu'il y a aussi parfois une hiérarchie dans les groupes d'entraide", poursuit Eva. "Celles et ceux qui ont une apparence proche des personnes binaires et qui arrivent à passer semblent mener la danse. Ce sont ces choses qui peuvent sérieusement vous ronger".
L'idée derrière "Pass It On" est d'éduquer non seulement les personnes cisgenres, mais aussi les personnes transgenres. Il n'est pas nécessaire de juger si quelqu'un n'est pas aussi "joli·e" que vous", dit Eva. "Cela ne les rend pas moins trans. C'est un message qu'il est important de partager. Si vous avez le privilège de passer, pourquoi ne pas utiliser votre voix comme une plateforme. Les apparences ne font pas tout, et la jalousie et les railleries doivent cesser. Nous pouvons être solidaires et aller de l'avant".
Les réseaux sociaux jouent également un rôle dans la création de normes de beauté inaccessibles. Les plateformes comme Instagram peuvent être pesantes pour les personnes cisgenres, mais la pression est encore plus forte lorsque vous êtes trans ou non-binaire. "Les réseaux sociaux m'aident à me connecter avec les autres, mais on peut parfois avoir l'impression que tout le monde se ressemble. Eva raconte que certaines personnes utilisent Photoshop pour retoucher leur visage sur des corps féminins, ce qui véhicule une fausse image des personnes trans. C'est souvent accablant et ça l'a déjà déprimée dans le passé. "En parcourant mon flux, je vois souvent des femmes trans qui sont minces ou qui ont un corps tout en courbes. Lorsque les jeunes ou les personnes qui font leur coming-out cherchent à obtenir de l'aide et du soutien en ligne, c'est tout ce qu'ils voient. Pour eux, c'est ce à quoi il faut aspirer pour être accepté·e·s et cela crée un discours dangereux et toxique".
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Une personne qu'Eva admire est l'écrivain, musicien et acteur américain Chaz Bono. "Pour les hommes trans, ce qui compte souvent, c'est d'avoir des abdos et d'en faire des tonnes pour avoir l'air masculin", explique Eva. "Mais lui, c'est juste un mec ordinaire. Dans un épisode de RuPaul Drag Race récemment, il nous a montré qu'on peut être un homme trans, mais avoir une morphologie différente. C'est quelque chose que j'aimerais voir plus souvent".
Les personnes cisgenres peuvent aussi contribuer à améliorer les choses, en commençant par faire preuve de plus de scepticisme face aux voix les plus fortes. "Nous ne devrions pas avoir à nous façonner pour nous adapter à la société. La société se doit de nous faire une place, de nous accepter tel·le·s que nous sommes", déclare Eva. "Nous ne sommes pas là pour vous prendre quoi que ce soit à qui que ce soit, et nous ne sommes pas non plus les personnes décrites par J.K. Rowling", poursuit-elle. "Le simple fait d'écouter les personnes trans et de relayer nos expériences est utile".
Eva voit les allié·e·s comme des individus qui se placent entre les personnes trans et non-binaires, et les personnes qui les détestent. Les personnes cisgenres sont même plus écoutées lorsqu'elles parlent des expériences trans. "Nous avons une communauté très unie", ajoute Eva, "mais la société semble penser que nous avons choisi cette voie. Encourager les gens à comprendre ce que nous traversons nous donne un autre niveau de protection".

Voici quelques conseils pour les personnes transgenres ou non-binaires qui souffrent de leur apparence

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Outre participer à la campagne, où vous pouvez partager, avec le hashtag #PassItOn, une photo, une déclaration, une lettre ouverte ou même un poème par exemple, il existe certaines ressources en ligne qu'Eva recommande aux personnes transgenres et non-binaires qui sont aux prises avec leur image ou leur santé mentale.
"Switchboard LGBT est très utiles car le personnel est parfaitement formé, et est en mesure de vous mettre en contact avec d'autres services", explique Eva. Elle recommande également Gendered Intelligence. "C'est un site fantastique. Ce sont des activistes et des éducateurs et il y a beaucoup d'informations et d'ateliers pour en savoir plus. Mermaids est également utile pour les jeunes qui cherchent encore leur voie. À cet âge, on est tellement porté sur l'image, qu'il est encore plus urgent que les jeunes aient un accompagnement et un accès à des aides lorqu'ils en ont besoin".
En France, vous pouvez vous tourner vers OUTrans, une association féministe d'autosupport trans pour les personnes transmasculines, transféminines, non-binaires, en questionnement, et pour leurs allié·e·s cisgenres.
Cliquez ici pour obtenir plus d'informations sur la campagne Pass It On.

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