Il y a quelques années, j'ai interviewé une psychologue pour un article sur l'introversion. C'est là qu'il a mentionné le terme de « personne hypersensible ». La description qu'il en a faite m'a tellement faite pensé à moi que j'ai tenu à en savoir plus. Au point d'en oublier ce pourquoi j'étais venue.
Le terme de « personne hypersensible » a été utilisé pour la première fois par le psychologue Dr Elaine Aron et son mari Arthur dans les années 90. Son livre, The Highly Sensitive Person: How To Thrive When The World Overwhelms You (« Personnalité hypersensible : comment survivre dans un monde qui vous submerge ») a été vendu à plus d'un million d'exemplaire. Dans cet ouvrage, elle décrit une personnalité qui correspondrait à 15-20% de la population. Si sa théorie se confirme, cela permettrait d'expliquer pourquoi certaines personnes se trouvent émotionnellement ébranlées par certaines situations, tandis que d'autres se semblent pas du tout affectées.
Selon Aron, les personnes hypersensibles traiteraient les stimulations physiques, émotionnelles et sociales à un niveau cognitif plus profond. Ça veut dire par exemple qu'iels peuvent trouver inconfortables d'être exposé·e·s à la lumière directe et à du bruit incessant. Ils sont vite dépassés par leurs émotions. Les problèmes émotionnels « pèsent plus lourd » et iels sont capables de noter des subtilités que les autres ne voient pas.
Si vous pensez être concerné·e, le test sur le site du Dr Aron (en anglais) peut être un bon point de départ. Il y a aussi un paquet de livres sur le sujet, en langue anglaise et française, comme celui du Dr. Aron par exemple.
« Quelqu'un qui présente une hypersensibilité a tendance à ressentir les choses plus intensément et profondément que les autres » me dit Mel. « Iels peuvent être affecté·e·s par des stimuli sensoriels et environnementaux que les autres ne perçoivent même pas, ou par lesquels ils ne sentent peu affectés. » Et selon Mel, un lieu bondé ou les changements de la météo peuvent « sur-stimuler » le système nerveux d'un hypersensible, au point même où ceux-ci se trouvent bouleversés par les événements les plus anodins. Mais il y a aussi des aspects positifs au fait d'être hypersensible. « Je trouve que les hypersensibles sont des gens très empathiques. Iels éprouvent énormément de compassion pour la douleur des autres et sont capables d'une grande réflexion. Ils sont aussi sensibles à des subtilités que les autres ne voient pas, comme par exemple la douleur dissimulée d'une personne.
Ceci dit, ces qualités peuvent aussi s'avérer être un handicap dans certaines situations, comme par exemple sur le lieu de travail. Avant, Mel travaillait en prison. Un environnement tumultueux, avec des alarmes qui retentissent plusieurs fois par jour. Elle se souvient qu'elle devait parfois s'isoler dans les toilettes pour se calmer. Une salle de réunion trop bruyante peut d'ailleurs avoir le même effet sur le système nerveux d'une personne hypersensible, qui ressent le bruit et la musique comme une forme de pression, quelque chose qui vous « tape sur le sytème ».
Sur le plan des relations interpersonnelles, Mel dit qu'être hypersensible peut être à la fois un cadeau et une malédiction. « Personnellement, je trouve que les hypersensibles font de très bons amis. Ils sont loyaux, très empathiques et capable d'une très bonne écoute. C'est vraiment des gens qui se donnent aux autres. » Des qualités qui peuvent se retourner complètement contre vous avec les mauvaises personnes. « J'ai souvent l'impression d'être critiquée si je ne peux pas sortir tel ou tel soir, ou si j'ai besoin de quelques heures pour "m'acclimater" quand je sors ou pars en vacances quelque part. » Mel nous dit aussi qu'il est courant pour les hypersensibles de se retrouver dans des schémas où la réciprocité ne suit pas. Parce qu'iels sont très doués pour écouter et donner, il leur arrive souvent d'être « utilisés » par les autres. « Il est très important pour les hypersensibles d'apprendre à trouver un équilibre entre donner et recevoir. » recommande Mel. « [Iels] doivent absolument s'assurer que toutes leurs relations sont réciproques. »
« Iels ont cette propension naturelle à aider les autres, qui peut passer pour une envie d'être arrangeant avec tout le monde, ou de faire plaisir à tout le monde ».
« Dans nos sociétés occidentales, être sensible n'est pas toujours vu comme quelque chose de positif, surtout au travail, où l'on nous rabâche constamment de prendre sur soi. Les comportements dominants de type « alpha » sont reconnus et célébrés, tandis que les personnalités plus betas se perdent dans la masse. Mel se sent frustrée par cet a priori : « Il y a un réel manque de compréhension sur les compétences professionnelles des hypersensibles. Les hypersensibles font des managers et des leaders exceptionnels, parce qu'iels sont capables d'avoir une perspective globale sur les choses. Iels ont une vraie vision. Malheureusement, iels peinent encore à être repérés et reconnus pour leurs talents aujourd'hui. »
Comment s'en sortir quand on est hypersensible donc ? Pour Mel, le plus important c'est de s'accepter et d'apprendre à se connaître. Ce n'est qu'en connaissant ses forces qu'on peut apprendre à s'en servir. Mieux vaut ça que de mentir sur vos émotions, en vous comportant comme les autres aimeraient que vous vous comportiez par exemple. »
« Avant, je détestais mon hypersensibilité. Mais j'ai compris que c'est parce que je me critiquais trop moi-même que j'attirais les critiques. Quand je reçois des critiques aujourd'hui, j'essaie de ne pas les prendre très sérieusement. Prenez-les comme un manque de compréhension de la part des autres. Les hypersensibles ressentent les choses plus profondément que les autres. »
Apprenez aussi à fixer vos limites et dire non sans vous sentir coupable. « Je pense que c'est crucial. Si vous voyez que les gens vous "utilisent" sans rien vous donner en échange, c'est qu'il est temps de vous en éloigner. Apprenez à dire « non » plus souvent.
Les hypersensibles sont souvent pris par surprise, et finissent par prendre des décisions qu'iels regrettent car iels ont du mal à savoir ce qu'ils veulent. Mel recommande de répondre par un « Je vous/te recontacterai à ce sujet ». Prenez ensuite le temps de réfléchir, quitte à envoyer un message plus tard « Je suis désolée, je ne peux pas. » Si quelqu'un vous rabâche constamment ses problèmes mais que vous n'avez ni le temps ni l'envie de l'écouter, surtout si ça ne va que dans un sens, essayez ça « Je suis désolée, tu as l'air de traverser une phase difficile. Et si tu allais voir X, je pense qu'il pourrait t'aider. »
« Demandez-vous si vous tenez tant à aider parce que ça vous fait du bien ou parce que c'est une nécessité pour vous. Si c'est une nécessité, il vaudrait mieux que vous trouviez d'autres moyens de vous sentir valorisé·e ou utile. »
Avec le temps, on apprend à s'accorder des pauses. « Les hypersensibles sont difficiles avec eux-même parce qu'iels ressentent les choses au plus profond d'eux-mêmes. » Pourtant, « il est très important pour nous hypersensibles d'écouter cette voix qui parle en nous. Est-ce que vous vous parleriez aux autres comme ils vous parlent ? Pourquoi est-ce que je suis si compatissant·e‚ avec les autres mais pas avec moi-même ? »
De manière générale, Mel veut que les hypersensibles commencent à voir tout le potentiel de leur personnalité. Etre hypersensibles n'est pas une tare. « Je veux que les gens finissent par voir ça comme un don. » Les hypersensibles ont le coeur sur la main, même quand on leur fait du mal. C'est vraiment admirable. Ils seraient prêts à aider n'importe qui si on leur demande. Et c'est tellement important d'avoir des gens comme ça autour de soi. »