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Comment critiquer sa boss comme une vraie féministe

Est-ce que votre boss est toxique ? Ou est-ce que c’est vous qui êtes sexiste ? C'est compliqué.

Ligne ondulée
Tarisha n’aura jamais cru qu’un mail pourrait la faire virer. Mais, à y réfléchir, c’était sûrement inévitable, vu la personne à qui elle avait à faire tous les jours. Sa boss, Kate, pas plus haute qu’1m60, était connue et redoutée pour son tempérament impulsif. Après 7 mois passés au sein de l’entreprise en tant qu’analyste, Tarisha ne pouvait plus supporter ses sautes d’humeur. Ni les remarques illisibles laissées au stylo rouge sur ses comptes-rendus. C’est là qu’elle décide de lui envoyer un mail. « Rien d’offensant, pour être honnête. Je suis restée très professionnelle. »
Le lendemain, elle se retrouve convoquée à une réunion par ses CEO et sa manager, durant laquelle cette dernière ne fera que gueuler. « Vous êtes en train de me dire qu’elle n’est pas virée ? » s’écrit-elle à un moment. Après s’être faite calmée par l’assemblée, on décide que Tarisha peut garder sa place dans l’entreprise.
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Ce n’était pas la première fois que Tarisha se trouvait être le bouc émissaire de Kate. Ça commençait à devenu frustrant. « On aurait dit qu’elle essayait constamment de trouver ce que je faisais mal. » se souvient Tarisha.
Il n’aura fallu que quelques semaines pour que Kate parvienne à ses fins. Tarisha avait mal lu son calendrier.
Un matin, Tarisha arrive au bureau en jean, croyant que c’était un jour « casual » - comme on appelle ces jours aux Etats-Unis où les employés peuvent s’habiller plus librement. Et bien qu’elle n'est pas la seule à afficher un style décontracté, c’est à elle que Kate décide de s’en prendre. En fait, elle ira même jusqu’à l’engueuler devant tout le monde. Tarisha s’excuse et propose de passer chez elle pour changer de tenue. Kate va en profiter pour lui demander de rester chez elle. Elle est virée.
Le pire dans tout ca ? Après son renvoi, une idée s’est mise à germer dans l’esprit de Tarisha. Elle a commencé à se dire qu’elle ne voulait plus jamais travailler pour une femme. « Il y avait cette part en moi qui était terrorisée à l’idée de travailler à nouveau pour une femme, parce que j’avais eu deux mauvaises expériences d’affilée » confie Tarisha. « Et comme j’en savais peu sur ces deux femmes, le genre semblait être le seul dénominateur commun. »

Il y avait cette part en moi qui était terrorisée à l’idée de travailler à nouveau pour une femme, parce que j’avais eu deux mauvaises d’expérience d’affilée.

Tarisha
Pour ces femmes qui ont connu des femmes manager toxiques, c’est à la fois tentant et dangereux de généraliser. Après tout, un mauvais manager devrait simplement être vu comme un mauvais manager - peu importe son genre. Et pour autant, les femmes manager, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, sont d’autant plus scrutées que leurs pendants masculins. Il n’y a qu’à voir la quantité d’articles qui circulent à ce sujet. Alors, critiquer une manager, est-ce sexiste ? Il faut bien reconnaître que ce genre de stéréotypes ne profitent à personne, et surtout pas aux femmes. Soit elles sont vues comme compétentes, soit comme sympathiques, mais rarement les deux. Que ce soit le son de sa voix ou ses choix vestimentaires, lorsqu’une femme est cheffe d’équipe, elle est constamment observée.
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On se rappelle du scandale autour de Naomi Campbell, accusée à plusieurs reprises d’être tyrannique voire violente avec ses équipes. Si le sexisme n’a souvent rien à voir avec ces accusations, on comprend la difficulté qu’il peut y avoir à lancer la sonnette d’alarme, quand les femmes sont si souvent traitées avec injustice.
Car il y a comme une double-contrainte (ou double peine) à travailler avec une femme tyrannique : non seulement il faut se la coltiner, mais en plus, il y a la peur de se voir accusé·e de sexiste si on se met à la critiquer.
Que faut-il donc faire ?
illustrated by Richard Chance.
Fabi*, 23 ans, travaille dans une industrie à dominante féminine. Elle a déjà eu son lot de mauvaises expériences avec des femmes leaders, comme par exemple une manager qui adore voler dans les plumes des stagiaires et maltraiter les juniors de l’équipe en général. « J’avoue avoir dû moi-même me faire violence pour éviter les raisonnements sexistes. » Elle dit néanmoins comprendre le danger qu’il y a à laisser couler ce genre de comportements.
« C’est facile de laisser passer certaines choses, sous prétexte qu’on est aussi une femme et qu’on a peur de manquer d’esprit de camaraderie ou d’être une mauvaise féministe. »
Pourtant, quand Fab essaie de dresser un parallèle entre toutes ses mauvaises expériences avec des femmes manager, elle remarque que celles-ci avaient toutes tendances à « se comporter comme au lycée. »
Selon Rosalind Wiseman, auteure du livre Queens Bees and Wannabes - qui aborde le syndrome de la reine des abeilles, et aura servi d’inspiration pour le film Lolita Malgré Moi - cette analogie est tout à fait à propos. « C’est très similaire en fait. Dans les deux cas, on a deux groupes qui cherchent à améliorer leur statut social ou accroître leur sentiment d'appartenance. Dès que quelqu’un se place en position de leader, que ce soit au sein de l’entreprise ou du lycée, on peut s’attendre à ce que les mêmes schémas se reproduisent. C’est plus ou moins la même dynamique, avec des gens plus âgés seulement. »
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Wiseman nous explique également que la plupart des comportements toxiques s’enracinent dans l’enfance ou l’adolescence. « Des personnes qui ont été élevées dans la croyance qu’elles n’avaient qu’un accès limité au pouvoir essayeront par la suite de s'y raccrocher coûte que coûte. Et quand bien même, « votre collègue toxique ne doit pas vous faire oublier la quantité d’autres femmes bien qui existent dans ce monde », nous dit Deborah Tannen, professeure en linguistique à l’Université de Georgetown et auteure de l’essai « Talking from 9 to 5: Women and Men at Work. » (« De 9h à 17h : hommes et femmes au travail », en français.) Tannen a écrit une quantité de bouquins sur la question ; celle de la difficulté des femmes leader à se positionner dans un contexte socioprofessionnel. Cette tendance à la généralisation frappe beaucoup plus les femmes que les hommes, nous apprend Tannen. « Dans un groupe d’hommes, on juge les comportement individuels pour ce qu’ils sont, soit des cas isolés. Et pour les femmes ? C’est l’inverse, on va généraliser le comportement d’une seule personne et l’étendre au groupe. ». Des comportements inconscients qui peuvent avoir des conséquences très néfastes, comme la persécution de ceux qui pourraient leur faire de l’ombre. Malheureusement, les autres femmes sont souvent les premières visées. »

Des personnes qui ont été élevées dans la croyance qu’elles n’avaient qu’un accès limité au pouvoir essayeront par la suite de s'y raccrocher coûte que coûte.

Rosalind Wiseman
Dans le même genre, voilà ce que nous dit Jaime Klein, fondatrice et présidente de Inspire HR avec plus de 20 ans d’expérience en ressources humaines : « Parce que les femmes sont moins nombreuses à occuper des rôles de leaders, elles sont tout de suite mises sous le microscope. » Elle ajoute qu’on met plus facilement les défauts d’un homme manager sur le dos de sa personnalité que dans le cas d’une femme. On dira par exemple d’un mauvais manager : « Oh, c’est juste sa manière de communiquer. »
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Sans parler du fait qu’on a tendance à juger plus sévèrement les femmes que les hommes. Que faire donc face à une mauvaise leader ? Tannen nous dit qu’il faut renoncer à faire passer la solidarité entre femmes avant tout. Au contraire, elle recommande de faire un pas en arrière et de se demander : « Est-ce que je juge tout le monde sur un pied d’égalité ? »
La difficulté sera alors d’évaluer la gravité de la situation. « Si vous vous rendez compte que le comportement de votre boss est dérangeant ou néfaste, alors vous êtes dans l’obligation de réagir de la même manière qu’avec un homme. »
Fabi travaille toujours dans un secteur majoritairement féminin. Et bien qu’elle ait été confrontée à plusieurs femmes problématiques, de mauvaises leaders qui perpétuent l’enfer du lycée, elle dit avoir grandi de ses expériences, tant sur un plan professionnel que personnel.
« Ça m’a aidé à définir ce que je recherchais chez un leader et à prendre les choses moins personnellement. »
Et bien sûr à ne pas mettre les défauts d’une manager sur le compte de son genre. « J’ai compris que c’était important de critiquer ces personnes d’une manière qui évitent tout rapprochement entre mauvais management et femmes leaders. Ce n’est pas parce que c’est une femme que c’est une mauvaise leader, c’est pour telles ou telles raisons (à définir). Ce qui n’est pas toujours facile. On a vite tendance à dire « quelle connasse celle-là », alors qu’en réalité, ce qu’on devrait dire, c’est « mais quelle mauvaise manager ».
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