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Pourquoi ces femmes noires veulent redéfinir l’excellence (& la médiocrité)

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Les Bremangs ne sont faits que pour l'excellence - c'est du moins ce que mon père avait l'habitude de nous dire. Le besoin de se surpasser nous a été inculqué dès la naissance. Pour le Dr Joseph Kwame Asante Nyameche Bremang, il fallait être le meilleur, rien de moins. C'est ainsi qu'il dirigeait sa maison, celle où mes frères et moi avons grandi, et je suis sûre que c'est ainsi qu'était géré le pensionnat qu'il a fréquenté au Ghana. Mais le "meilleur", dans ces deux cas, prenait une forme bien précise. Faire preuve d'excellence, c'est adhérer à un ensemble de règles bien précis (des règles transmises à mon père par la colonisation) et atteindre des objectifs palpables, dont il pouvait se vanter, comme des coupures de journaux qu'il pouvait envoyer à ses frères et sœurs, des trophées que nous pouvions mettre sur la cheminée, des copies avec des 20/20 écrits en rouge, et des carrières dont il pouvait être fier : médecin, avocat, ingénieur. 
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Mes frères et moi nous efforcions d'obtenir son approbation, comme le font la plupart des enfants avec leur père, mais aussi parce qu'il nous a appris que notre excellence allait nous protéger contre l'injustice à laquelle nous serions inévitablement confrontés dans le monde. Des années avant qu'Olivia Pope et Papa Pope n'immortalisent ces mots, mon père nous a sorti le fameux "il faut travailler deux fois plus dur pour gagner deux fois moins". Donc, pour être meilleurs que nos camarades blancs, et nous nous devions d'être meilleurs, nous devions travailler quatre fois plus dur. À moins que ce soit cinq ? Ouais, c'est assez dur à suivre. Mais je l'ai fait quand même, même si j'ai déçu mon père en ne devenant pas avocate. 
Dans les espaces majoritairement blancs dans lesquels j'ai évolué pendant toute ma vie universitaire et la majeure partie de ma carrière, l'excellence est devenue une armure dont je me suis servi pour essayer de me protéger du racisme et du sexisme anti-Noirs en entreprise. Cela n'a pas fonctionné. Les balles me transperçaient toujours la peau, cette même peau que je m'efforçais de faire oublier dans l'esprit des gardes racistes. J'étais excellente. Je suis excellente. Je suis aussi épuisée. Cette histoire n'a rien d'extraordinaire ou d'unique. En réalité, mon parcours - des parents immigrés aux attentes irréalistes en passant par la case de l'excellence - est si commun pour les femmes noires qu'il est devenu un cliché. Personne n'a envie d'entendre parler une fois de plus d'un enfant noir de la classe moyenne qui a grandi avec des Blancs. Oui, nous sommes nombreux à partager cette expérience, mais cette proximité avec les Blancs est généralement une forme de privilège. 
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Tout comme la quête de l'excellence. À mesure que le terme "Black Excellence" s'est imposé dans la culture pop et dans notre quotidien, l'excellence pour les Noirs est passé de l'aspiration à une attente. On est passé d'un moyen de démanteler les structures qui nous oppriment à une façon de les maintenir. Tous les Noirs ne sont pas des Bremangs, nés avec des parents brillants qui les poussent à (et leur donnent des opportunités pour) exceller. Et pourtant, le fardeau de l'excellence et notre aversion collective pour la médiocrité nous accablent tous.

Il ne s'agit pas de savoir si nous pouvons être excellents, mais de savoir si nous devons l'être et à quel prix.

"Pendant longtemps, j'ai vu cela comme un sorte d'honneur de me trouver là où personne ne m'attendait. Je me disais : voilà, je suis excellente ! Mais à la clé de cet exploit, il y avait l'épuisement, beaucoup d'épuisement", m'explique la dramaturge et créatrice Fatuma Adar via Zoom. Elle est l'autrice de She's Not Special, un livre sur les pressions de l'excellence en tant que femme noire musulmane. "Fatuma Adar se donne pour mission de vous libérer des griffes de l'exceptionnalisme et de vous apprendre à savourer les joies de la médiocrité", peut-on lire sur la couverture. 
Le fait de se tourner vers l'excellence et d'éviter la médiocrité dans de tels extrêmes a créé un "récit qui fait dépendre l'humanité des Noirs de l'exceptionnalisme", a écrit Elisabeth Fapuro pour Refinery29 UK en 2020. Chaque fois qu'une personne noire non armée est assassinée par la police, on cite son curriculum vitae pour justifier qu'elle méritait de vivre. Personne ne devrait avoir besoin d'un CV éblouissant pour rester en vie. Nos vies ne devraient pas être mesurées à l'aune de nos compétences en capitalisme. "Vous n'êtes pas défini par votre travail. Vous êtes une personne unique qui vit des expériences. Vous n'êtes pas votre productivité", poursuit Adar. "Pour moi, la médiocrité signifie simplement créer dans le confort, le contentement. C'est le fait de ne pas courir après, de ne pas pousser ou de ne pas poursuivre. Peut-on juste se poser et se détendre ?"
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En 2022, en plein cœur d'une pandémie mondiale dévastatrice, et après un mouvement de protestation contre le racisme où de nouvelles promesses d'espoir et de changement n'ont pas été tenues, de plus en plus de femmes noires réalisent que l'excellence est un piège. Les statistiques confirment que les femmes noires désertent les jobs traditionnels à un rythme effarant. Certaines quittent le monde de l'entreprise pour trouver le bonheur ailleurs et laissent derrière elles des environnements de travail toxiques où elles sont sous-payées et sous-estimées. D'autres sont tout simplement épuisées. La "Grande Démission" qui a lieu en ce moment aux Etats-Unis permet aux femmes noires de redéfinir l'excellence à leur manière, mais ce n'est pas toujours par choix. Le chômage chez les jeunes dans les populations noires est en hausse du fait de l'impact de la pandémie sur les emplois dans le commerce de détail et l'hôtellerie. Et les mères noires quittent en masse le marché du travail en raison de l'instabilité des services de garde d'enfants. 
Il s'agit de deux choix contradictoires : les femmes noires préfèrent leur santé mentale à la servitude ingrate, même si ces boulots ont l'air très intéressants sur le papier. D'un autre côté, peu importe les efforts des femmes noires, ce sont elles qui subissent de manière disproportionnée l'impact négatif de cette exigence d'excellence sans contrepartie sur le marché du travail. Même si nous brisons les barrières, nous restons au bas de l'échelle. Alors, qu'est-ce qui nous pousse à nous tuer à la tâche pour un système qui a été mis en place pour piétiner nos corps sans la moindre hésitation, et de passer au prochain candidat ? 
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"J'ai l'impression que l'excellence traditionnelle consiste à devenir le PDG d'une entreprise dans une société capitaliste qui ne veut pas de nous. Et pourquoi pas. Libre à chacun de faire ce qu'il veut. Je ne vais pas dire aux gens qu'ils ne peuvent pas le faire si c'est ce qu'ils veulent, mais je sais ce que cela implique en tant que femme noire queer", confie Nicole Cardoza au téléphone. "Je sais que cette forme d'excellence signifie que je dois faire des sacrifices en travaillant plus dur et plus longtemps [et] en supportant les microagressions. Je ne veux plus de ça. Je pense parfois que la quête de l'excellence peut nous tuer, et nous priver de nos joies." En 2017, Cardoza a été nommée dans la liste très convoitée des 30 de moins de 30 ans de Forbes en tant qu'entrepreneuse. Aujourd'hui, elle est toujours à la tête d'une entreprise, mais s'est depuis éloignée de la culture du "hustle" pour se lancer dans une carrière de magicienne à temps plein. "Cela m'apporte beaucoup de joie d'être dans cet espace et je me sens beaucoup plus épanouie", dit-elle. "Je m'attends à être une 'magicienne de merde', ou du moins médiocre pendant un certain temps, car c'est quelque chose qui prend simplement du temps. Et je trouve qu'il y a beaucoup de liberté dans cette démarche."
Lorsque j'ai tweeté "Y a-t-il quelqu'un parmi vous qui a décidé que c'était ok d'être médiocre ?" alors que je cherchais des personnes noires pour partager leurs histoires pour cet article, j'ai eu l'impression de pouvoir les sentir tressaillir à travers mon écran. L'une d'elles a tweeté : "J'allais répondre jusqu'à ce que tu dises "médiocre". Ça m'a touchée en plein cœur." Je comprends. Non seulement beaucoup d'entre nous ont été conditionnées à éviter la médiocrité à tout prix, mais en plus, pendant si longtemps, la médiocrité a été assimilée à l'incompétence, et c'est une étiquette que l'on collait aux Noirs. 
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S'il y a bien une chose que les femmes noires savent faire, c'est de surpasser les attentes. On peut comprendre que nous nous soyons défendues contre des préjugés négatifs et carrément faux en grimpant les échelons pendant des décennies, en réussissant, en triomphant et en excellant. Mais alors que l'excellence était au départ une affirmation de notre pouvoir, elle s'est transformée en une prestation visant à obtenir la validation des Blancs. Chaque année, durant le Black Month History, nos réalisations sont présentées comme des exemples de la façon dont nous avons prospéré en dépit de [insérer n'importe lequel des "ismes" qui continuent à nous marginaliser], mais on évoque rarement la part de nous-mêmes que nous sacrifions pour être vus tels que nous sommes.

Alors que l'excellence était au départ une affirmation de notre pouvoir, elle s'est transformée en une prestation visant à obtenir la validation des Blancs.


En ce mois de février, alors que nous célébrons les personnes noires qui ont brisé les barrières et sont devenues des exceptions aux règles établies contre nous, il n'a jamais été aussi évident de savoir à quelle définition de la réussite nous accordons le plus de valeur. Chaque "premier" atteint l'excellence face à des circonstances impossibles à surmonter. Leur excellence est indéniable. Mais avec chaque premier vient la rhétorique de l'espoir et du changement. Et à chaque première, on nous rappelle que lorsque notre excellence est enfin célébrée de manière appropriée au sein de certains systèmes, il est bien trop tard et elle reste une exception. 
L'autrice, universitaire et animatrice de podcasts Tressie McMillan Cottom a récemment partagé une histoire concernant la star de l'école primaire Abbott et actrice légendaire Sheryl Lee Ralph. L'essentiel de l'histoire est qu'un directeur de casting lui a dit : "Vous êtes une belle et talentueuse femme noire. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire avec ça ?" McMillan Cottom écrit qu'elle raconte fréquemment cette anecdote à ses étudiantes noires pour leur rappeler que "dépasser les attentes leur sera toujours reproché, mais qu'elles doivent tout de même le faire, à moins d'être trop fatiguées, auquel cas, elles le feront la semaine prochaine." Il ne s'agit pas de savoir si nous pouvons faire preuve d'excellence, mais de savoir si nous devons le faire et à quel prix. 
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"Si l'excellence a été utile pour renforcer l'autonomie et l'estime de soi de beaucoup, elle fait également écho aux attentes placées dans les Noirs pour qu'ils fassent preuve d'excellence à tout prix. Le prix à payer est parfois notre humanité même", explique par e-mail le Dr Akua K. Boateng, psychothérapeute agréé. "Cela s'aligne malheureusement sur le stéréotype de la superwoman qui déshumanise les femmes noires et exige de nous des choses irréalistes. L'excellence qui ne parvient pas à intégrer l'humanité est une prison émotionnelle." Non seulement cette attente est étouffante, mais elle peut avoir des conséquences à long terme sur notre santé mentale. Selon le Dr Boateng, la pression de l'excellence pour les Noirs peut entraîner un niveau de stress élevé, de l'anxiété, une dépression et d'autres problèmes de santé mentale graves. 
On pourrait penser que la médiocrité est la réponse à tous nos problèmes, mais ce mot suscite encore des réticences. Pour de nombreuses femmes noires, le terme "médiocre" est associé au manque de perspectives", explique le Dr Boateng. "Nous étions soumises à des exigences plus strictes et n'avions pas le droit de faire des erreurs de peur d'être disqualifiées. En conséquence, le récit intérieur de ne pas être assez douée a été adopté à travers des messages sociétaux et générationnels et incorporé dans la personnalité et le concept de soi de nombreuses femmes noires."

"Je pense que la médiocrité vous donne l'espace nécessaire pour ne pas avoir à tout donner à tout le monde à tout moment."

Fatuma Adar
Amena Agbaje est l'une de ces femmes qui travaillent à redéfinir l'excellence, mais qui ne peuvent se résoudre à la médiocrité. Amena Agbaje travaille dans le secteur de la technologie et a quitté un poste de direction pour "évoluer dans un poste qui lui convenait mieux", explique-t-elle. "Je m'efforçais constamment d'en faire toujours plus, et ce, au détriment de mon bien-être." Elle dirige toujours une équipe, mais dans de "nouvelles conditions plus équilibrées." Mais n'allez pas lui dire qu'elle est médiocre !
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"Quand je pense au mot "médiocre", je pense aux Chad et aux Todd du monde de la tech, qui arrivent souvent dans une réunion avec tout le culot du monde sans aucune gêne. Le mot "médiocre" [me] fait penser à ces gens qui s'en sortent en faisant le strict minimum et avec des idées pas si géniales, mais qui prospèrent grâce à ce qu'ils sont, ou aux personnes qu'ils connaissent." Nous connaissons tous les Chad et les Todd du monde (qu’on le veuille ou non). Je comprends que nous puissions les associer à la médiocrité, et je vous promets que je ne suggère pas que nous cherchions à imiter leur culot sans gêne. Je pense simplement que se contenter du strict minimum est mal perçu, surtout par les femmes noires. 
"Si accepter la médiocrité est nécessaire pour vivre une vie plus riche et plus épanouie, alors je veux bien l'accepter", m'écrit Joan Wahiga par DM depuis le Kenya. Elle prend une année sabbatique et, comme elle le dit, "refuse de répondre aux questions sur ce que je compte faire de mon temps, maintenant ou plus tard. En ce moment, ma définition du succès, c'est de pouvoir payer mes factures et de vivre dans l'instant présent". Wahiga dit qu'elle passe ses journées à se détendre avec sa mère et son chien, et que son seul objectif pour l'avenir est d'apprendre à parler suffisamment bien sa langue maternelle pour "se poser au soleil et bavarder avec ma grand-mère de 95 ans". Pour Wahiga, la définition de la réussite n'a rien à voir avec sa profession ou avec le travail tout court. Elle est ancrée dans la famille, la culture et la communauté. 
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Je n'ai absolument pas l'intention de me tuer à la tâche pour arriver à quoi que ce soit ou même de "battre les records". L'idée même d'être la première Africaine/Noire/Femme à faire quelque chose me fatigue et me déprime", poursuit Wahiga. "Tout mon succès d'apparence ordinaire est le simple fruit d'un heureux hasard." 
La chance, c'est également une notion qui n'a pas sa place dans l'excellence. Le succès, selon la norme traditionnelle, n'arrive pas par accident (je régurgite une fois de plus le script que mon père m'a fait mémoriser). Mais que se passe-t-il si nous cessons de souscrire aux notions désuètes de ce qui mesure notre valeur ? Et plus important encore, que se passe-t-il lorsque nous réalisons que nous ne serons jamais heureux si nous nous efforçons d'obtenir plus dans des systèmes minés par le racisme structurel ? "On voit tous ces incroyables leaders noirs mourir si jeunes", dit Cardoza, la magicienne. "Si j'ai le privilège de vieillir et d'être en bonne santé et heureuse. C'est ça, pour moi, l'excellence. L'excellence, c'est être capable de choisir et de définir cela selon nos propres termes, indépendamment de ce que peut dire le système."
On peut en dire autant de la médiocrité. Fatuma Adar, créatrice de She's Not Special, définit la médiocrité d'une manière qui m'a profondément marquée. "Je pense que la médiocrité vous donne l'espace nécessaire pour ne pas avoir à tout donner à tout le monde tout le temps", dit-elle. "Parfois, je suis une personne difficile. Parfois, je ne suis pas à la hauteur de ce que les gens attendent de moi en tant que femme noire et musulmane. Les gens pensent que ces intersections font de vous un Dieu zen qui a toutes les réponses en matière d'inclusion." Adar dit qu'elle a beaucoup écouté la chanson "Just Fine" de Mary J. Blige et que c'est devenu un peu son mantra de médiocrité.
Voilà tout l'intérêt d'embrasser la médiocrité. C'est se donner la liberté de se reposer, de jouer, d'échouer, de faire une pause, et d'être simplement bien. Parce qu'en réalité, si nous nous efforçons d'être exceptionnels, nous continuerons à être moins bien payés, à être jugés plus sévèrement parce que nous sommes humains et à regretter de ne pas avoir fait la sieste. 
Alors allez-y, soyez médiocre aujourd'hui. Prenez cet article comme un mot d'excuse.

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