En ces temps de confinement, on peut s'adonner au binge watching de séries, se faire des documentaires nous faisant voyager le temps de quelques heures, mais quelque chose d'autre peut aussi nous aider à nous évader : la lecture !
Ce n’est qu’à 20 ans que Kit de Waal, auteure du roman Je m’appelle Léon, s’est mise à la lecture. « On ne m’a pas expliqué ce que postmoderne voulait dire, on ne m’a pas expliqué qui (ou quoi) avait influencé tel·le ou tel·le auteur·e, et personne ne m’a dit quoi penser, » se souvient-elle. « C’est tout un monde qui s’ouvrait à moi et j’ai pu le découvrir comme il me plaisait, choisir mes lectures au hasard des rayons d’une librairie ou d'une bibliothèque. C’était une chose merveilleuse. Une expérience impossible à reproduire. J’en sais maintenant trop, » explique de Waal.
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Avant de se lancer dans l’écriture, de Waal a travaillé durant plus de 15 ans dans le domaine du droit pénal et familial. Une expérience dont elle dit qu’elle l’a aidé à mieux écrire. « Je m'asseyais avec un accusé et j'essayais de raconter sa vie et les raisons qui l’avaient poussé à commettre ce crime : si j’arrivais à mettre son humanité en évidence, si j’arrivai à justifier son geste devant le tribunal, alors peut-être que sa peine serait plus courte, peut-être qu’on comprendrait, » se confie de Waal.
Son premier roman, Je m’appelle Léon, était en lice pour le Costa Book award et a remporté le prix Kerry Group du roman irlandais en 2017. Née à Birmingham d'une mère irlandaise et d'un père originaire des Caraïbes, de Waal raconte des personnages qui vivent en marge de la société et elle aimerait voir davantage de voix de la classe ouvrière dans le monde littéraire et de l'édition. L'année dernière, elle a contribué à la revue Common People: An Anthology of Working-Class Writers, une collection de récits qui célèbrent, sans excuser, l'expérience de la classe ouvrière. L'anthologie comprend des auteures reconnus tels que Malorie Blackman et Louise Doughty, mais aussi des voix méconnues à qui de Waal tenait à donner une tribune. « Ce sont des écrivain·e·s qui travaillent dur depuis de nombreuses années, mais qui n’ont pas pu être publié·e·s en raison de leur classe sociale, de leur manque de contacts ou du fait qu’ils vivent en dehors de Londres et que l’industrie les exclut, » explique-t-elle.
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Son dernier roman, Becoming Dinah est une réponse à Moby Dick. Il s'agit de son coup d'essai dans le monde de la littérature jeunesse. Dans ce roman, le capitaine Ahab, le protagoniste monomaniaque de Moby Dick, se retrouve privé de son pouvoir. C’est une adolescente qui tente de fuir son passé et l’étrange commune dans laquelle elle a grandi qui en hérite.
Nous avons rendu visite à de Waal chez elle, pour savoir quels livres la faisaient pleurer, ce qui lui plaisait dans les livres audio et des livres qu'elle recommande…
Que lisez-vous en ce moment ?
Je relis Retour à Reims de Didier Eribon. Nous devions participer ensemble à un événement littéraire, mais je suis tombée malade et j’ai dû annuler ce qui, je crois, aurait été une parfaite occasion d’avoir une merveilleuse conversation avec Didier. Le livre relate la relation difficile qu'il a entretenu avec les classes sociales et sa famille. Il explique tout au début que dans les années 80, il était plus facile de se faire son coming out que d’avouer appartenir à la classe ouvrière. J'aurais bien aimé en discuter avec lui. Le livre est sincère, triste et inhabituel, je le relis donc pour mieux le comprendre.
Y a-t-il d’autres livres que vous avez lus plus d’une fois ?
Quelques-uns : Bohane, sombre cité, Le vieil homme et la mer, Le Fond du problème, Jane Eyre. J’ai écrit une nouvelle intitulée The Old Man & The Suit (le vieil homme et le costume) — qui est un hommage à l'ouvrage Le vieil homme et la mer — après avoir écouté Donald Sutherland le narrer en livre audio. Je l’ai peut-être écouté une vingtaine de fois, simplement pour s'imprégner de la musicalité de la langue et de la structure du texte, j’ai commencé à écrire ma nouvelle tout de suite après. J’ai été impressionnée par la fluidité avec laquelle c’est arrivé.
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Qui vous a appris à lire ?
Ma mère, une femme surmenée par le travail et qui n’a pas fait de longues études. Elle aurait été une artiste si elle avait eu une vie différente. Je me souviens qu’elle nous laissait dessiner plutôt que de nous obliger à ranger avec elle. Elle nous a appris à lire, mais seulement dans le sens où elle nous a laissé lire, nous a encouragés à lire, nous a encouragés à faire ce que nous voulions, de sorte que la maison était toujours en désordre. La première lecture dont je me souviens était un extrait de la Bible, que j'ai lue plusieurs fois depuis.
Vous n’avez pas lu de fiction avant d’avoir 22 ans – pourriez-vous nous décrire l’expérience de cette découverte tardive ?
J’étais prête pour cette lecture, et c’est là que réside la différence.
Comment choisissez-vous vos prochaines lectures ?
Je reçois beaucoup de livres, alors je choisi simplement quelque chose de la pile. J'ai aussi lu beaucoup de livres audio sur recommandation.
Quels livres recommanderiez-vous à de complets inconnus ?
Le coeur qui tourne, Le testament caché et Le premier méchant. Je recommande ces livres, car ils sont tous très bien écrits et nous racontent quelque chose sur la condition humaine.
Quels livres vous ont fait pleurer ?
Je pleure rarement, mais j'ai pleuré pour Les vestiges du jour ainsi que pour A Manual for Heartache. Les deux livres ont quelque chose de similaire, même si l'un est une fiction et l'autre une sorte de livre de développement personnel. Ils réussissent à atteindre cette partie vulnérable, la partie effrayée qui s’inquiète pour l'avenir, la solitude, le fait que tout soit trop. Dans Les vestiges du jour, vous voyez cela se produire, sans pouvoir l'arrêter. Dans A Manual for Heartache, on vous dit quoi faire lorsque cela se produit.
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Où et quand aimez-vous lire ?
J’adore les livres audio lorsque je voyage. C’est une excellente façon de ne pas se laisser stresser par la circulation ou les retards. Je lis partout et n’importe où. Je n’ai pas de lieu dédié chez moi, bien que mon étude soit parfaite : très lumineuse et pleine de livres. On y voit mon minuscule jardin.
Où aimez-vous écrire ?
Dans mon étude. J'écris habituellement de manière créative la nuit lorsque le monde est endormi. Si je suis en train d’éditer ou d’écrire une fiction, c’est différent ; je peux alors écrire de jour, quand mon cerveau est « administratif ». Mon cerveau créateur ne s’allume que quand il fait noir.
Avez-vous été influencée par un livre pour l’écriture de The Trick to Time ?
Pas vraiment. Mais tout ce que j’ai jamais lu se retrouve dans ce que j'écris.
Comment organisez-vous vos livres à la maison ? Avez-vous un système ?
Par couleur, par taille – tout sauf par ordre alphabétique !
Qu’utilisez-vous comme marque-page ?
Je n’ai pas de marque-page. Je suis de ceux qui cornent les pages. Pour ce qui est des livres audio en revanche, c’est fait automatiquement pour ne pas perdre le fil.
Avez-vous déjà été membre d’un club de lecture ?
Oui, j’en ai établi un dans ma rue et il existe toujours. Je n’y assiste pas aussi souvent que je devrais et nous ne discutons pas toujours du livre. Nous sommes des personnes très différentes, nous venons de milieux très différents, mais c’est la raison pour laquelle cela fonctionne. Nous visionnons également des conférences TED et discutons des idées de la journée. C’est donc plus proche d’un club culturel que d’un club de lecture.
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Vous vous êtes souvent exprimé quant au manque de diversité dans le monde de l’édition. Pensez-vous que cela s’est amélioré depuis que vous en avez parlé pour la première fois ?
Je pense certainement que les choses se sont améliorées. Il reste encore un long chemin à parcourir, mais cela commence par une discussion. Une très longue et profonde discussion à coeur ouvert.
Les livres recommandés par Kit :
Retour à Reims de Didier Eribon
Bohane, sombre cité de Kevin Barry
Le vieil homme et la mer de Ernest Hemingway
Le fond du problème de Graham Greene
Jane Eyre de Charlotte Brontë
Le coeur qui tourne de Donal Ryan
Le testament caché de Sebastian Barry
Le premier méchant de Miranda July
Les vestiges du jour de Kazuo Ishiguro
A Manual for Heartache de Cathy Rentzenbrink
The Trick to Time est en vente au format poche. Becoming Dinah est paru le 11 juillet dernier.