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À celles & ceux qui m’ont parlé de courage quand j’ai enlevé mon voile

Évoluer dans un monde islamophobe quand on est une femme visiblement musulmane demande bien plus de courage que de sortir les boucles au vent.

Ligne ondulée
Je me promenais dans un parc, les cheveux découverts pour la première fois depuis près de 20 ans. Mes oreilles étaient toutes rouges. Je m'étais préparée mentalement avant de quitter la maison, anticipant la sensation du vent qui allait souffler dans mes cheveux, les mèches caressant mes joues. Mais ce qui m'a le plus marqué ce jour-là, c'est cette sensation inhabituelle de picotement que j'ai ressenti sur mes oreilles, surprises par l'air frais de Toronto.
Il y a beaucoup de choses que j’aurais dû prévoir lorsque j’ai pris la décision d’enlever mon voile il y a deux ans (comme le froid sur mes oreilles rouges ce matin-là), et pourtant, j’ai été prise au dépourvu.
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J'ai commencé à porter le hijab à l'âge de 10 ans et je l'ai retiré à 28. J'ai flirté avec l'idée de longs mois avant de me décider. Et quand je l'ai fait, ce n'était pas exactement une occasion heureuse pour moi. J'avais l'impression d'être dans une impasse dans ma vie spirituelle et je devais accepter la dure réalité, à savoir que mon hijab n'avait plus la même importance pour moi. Je n'étais pas moins musulmane, mais je ne comptais simplement plus sur ce voile pour m'aider à me sentir proche de Dieu.
Mais pendant 18 ans, j'ai passé chaque matin devant le miroir, épinglant mon hijab avant de quitter la maison. Certains jours, le tissu se laissait faire, et cela ne me prenait que deux ou trois minutes. D'autres jours, il refusait de coopérer et pendait maladroitement ou glissait sur ma tête. Je soufflais alors de frustration en serrant la mâchoire si fort que je m'en donnais des migraines.
Quand j'ai décidé d'arrêter de porter le hijab, je ne savais pas combien ce rituel quotidien sacré, parfois exaspérant, allait me manquer. Ce geste simple était une forme de culte, une prière silencieuse, un engagement intime envers moi-même, comme une seconde peau. Pendant les premiers mois, je me sentais nue en quittant la maison. Aujourd'hui encore, deux ans plus tard, il m'arrive d'oublier et de paniquer quand je suis dehors avant de réaliser que je ne le porte plus, ce voile qui continue de me hanter.

Ce que je n'avais pas anticipé, ce sont les éloges, les tapes dans le dos et les nombreuses félicitations pour mon "courage", ni la façon dont ces réactions allaient me déconcerter.

Mais la perte de cette routine n'est pas la seule chose à laquelle j'ai dû m'habituer. Mes interactions ont aussi beaucoup changé. Il y a des choses auxquelles je m'attendais et d'autres non. Je me souviens de la première fois où quelqu'un m'a félicitée, m'a dit que j'étais "courageuse" d'avoir retiré mon voile. Et puis la deuxième fois, et la troisième. Je m'étais préparée à répondre à des questions sur ma santé spirituelle et religieuse. J'étais même préparé au jugement, au claquement de langues de désapprobation des gens de ma communauté qui allaient supposer que si je faisais ça, c'était juste pour pécher en paix. Ce que je n'avais pas anticipé, en revanche, ce sont les éloges, les tapes dans le dos et les félicitations pour ce fameux courage, ni à quel point ces réactions allaient me blesser. J'aurais peut-être dû y penser.
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Quelques mois après avoir enlevé mon hijab, je suis allée prendre un café avec mon ancienne cheffe - une femme qui m'avait donné ma chance dans l'industrie des médias - et une autre collègue. Quand elles m'ont vue, mes boucles remplaçant le hijab de couleur neutre qu'elles avaient l'habitude de voir, elles ont toutes les deux crié et agrippé mes épaules.
"Oh mon Dieu, tu es trop belle ! Pourquoi tu nous cachais ça ?!"
J'ai ri - par surprise - ne sachant pas trop comment répondre à ce commentaire. Est-ce que j'étais moche avant ? Cette pensée m'a fait rire encore plus fort.
"C'est génial, je suis tellement fière de toi", m'a dit mon ancienne patronne, en me serrant dans ses bras. Je l'ai regardé avec perplexité et mon visage s'est mis à chauffer. Fière de moi ? Pourquoi ? Les deux femmes ont passé leurs doigts dans mes cheveux alors que je me tenais là, à mi-chemin entre la colère et la gêne. Leur admiration en disait long sur la femme qu'elles pensaient que j'étais lorsque je portais le hijab.
Et avec le temps cette expérience s'est renouvelée. Encore et encore. Pour ces personnes, j'étais une toute nouvelle femme - plus courageuse, plus audacieuse et plus libre. Mais en réalité, je suis toujours la même personne, simplement sans hijab. Je n'avais pas peur avant, et je ne suis pas plus libre maintenant. Je ne suis pas du genre à rougir devant les éloges, quand c'est mérité. Ce n'est tout simplement pas le cas ici.
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Pendant près de vingt ans, mon hijab a été une partie intégrante de mon identité. Le porter m'a appris une leçon importante sur la façon de me comporter dans le monde - plus précisément, il m'a appris la signification du mot "courage". J'ai dû marcher en gardant la tête haute et l'esprit toujours en alerte. J'ai appris à la dure à choisir les micro-agressions auxquelles je voulais répondre après m'être épuisée à vouloir toutes les confronter. J'ai également dû faire face à un monde de plus en plus islamophobe, en étant une femme visiblement musulmane, ce qui demande beaucoup plus de courage que de sortir les boucles au vent.

Pendant près de vingt ans, mon hijab a été une partie intégrante de mon identité. Le porter m'a appris une leçon importante sur la façon de me comporter dans le monde - plus précisément, il m'a appris la signification du mot "courage".

J'ai également dû faire face à ma propre culpabilité, au sentiment d'avoir abandonné ma communauté en enlevant mon hijab. Lorsqu'en 2019, un homme armé de 28 ans avait pénétré dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, tuant 51 personnes et en blessant 40 autres, ma culpabilité a enflé au point de me rendre malade. À l'époque, mon chagrin m'a presque poussée à remettre le voile, un moyen désespéré de m'absoudre de la honte irrationnelle que je ressentais.
On m'a souvent demandé si j'étais forcée de porter le hijab. J'ai appris à encaisser la question, à faire de mon mieux pour ne pas rouler des yeux, et à répondre poliment une réponse répétée plus de fois que je ne peux compter : "Non, bien sûr que non. C'est mon choix". La personne souriait en retour, cordialement, mais je décelais parfois dans leur expression un soupçon d'incrédulité. Peu importe ce que je leur disais de mon expérience, certains stéréotypes sont trop profondément encrés pour qu'on me croit sur parole. Parfois, ils m'affichaient ce sourire familier, les lèvres serrées, en me regardant, le cou rentré, la tête légèrement penchée d'un côté en signe de scepticisme.
Mais depuis que j'ai arrêté de porter le voile, je suis confrontée à un tout autre type de sourire, un sourire d'admiration. Et je ne sais pas lequel est le pire.

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