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Reportage : quand la beauté vient en aide aux sans-abris

La crise du logement fait rage en Californie, et de plus en plus de femmes se retrouvent à la rue. Face à l’indifférence de l’Etat, des collectifs se mobilisent pour rendre leur dignité à ceux qui ont tout perdu.

Ligne ondulée

Shirley Raines n'est pas une influenceuse comme les autres. Cette maman de six enfants âgée de 51 ans a travaillé pendant plus de vingt ans comme secrétaire comptable dans un centre médical de Long Beach, en Californie. Ce n'est qu'il y a deux ans qu'elle a lancé son compte Instagram, Beauty2thestreetz, « la beauté dans les rues », en français. Au cours des 6 derniers mois, elle a franchi la barre des 20 000 followers et reçu le prestigieux awards du Bronner Bros Beauty. À la différence des autres bloggers seulement, Shirley ne fait pas la promotion de produits cosmétiques ni de tuto beauté. Elle utilise sa plate-forme pour montrer un autre visage des sans-abri.

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Si Shirley n'a jamais fait d'école de soins esthétiques ni été dans une situation similaire, elle a passé beaucoup de temps à aider les sans-abri. Et elle a vu combien les femmes étaient les premières à souffrir de leur condition.

« Les femmes étaient toujours les premières à me complimenter sur mes cheveux et mon maquillage », dit-elle à Refinery29. « J'ai toujours entendu dire que les sans-abri avaient besoin de vêtements et de nourriture, mais jamais personne ne m'a jamais dit qu'iels avaient besoin de maquillage ou coloration pour les cheveux. Or, je savais que c'était quelque chose que j'étais prête à apporter aux femmes. J'ai donc utilisé tous mes points Sephora, me suis rendue dans des magasins discount et ai acheté des produits en format voyage pour pouvoir les distribuer au plus de personnes possibles. »

« Elles veulent pouvoir se regarder dans le miroir et voir autre chose que le fait qu'elles sont sans abri, » nous dit Shirley. « C'est important pour elles de pouvoir aussi mettre de côté le fait qu'elles ont perdu leur travail et doivent dormir dans une tente. Je pense que les gens oublient qu'elles sont toujours des femmes. »

Photo : Shirley Raines.

Mais Shirley n'est pas seule. Beauty2TheStreetz, c'est tout un groupe de mamans engagées, d'anciennes SDF et même une association caritative de motards (appelée Fighters For The World), qui se réunissent tous les samedis matins pour apporter leur soutien aux femmes SDF.

Toutes les semaines, on voit des centaines de personnes faire la queue pour un repas chaud. Mais c'est lorsque Shirley leur propose de les coiffer et de les maquiller qu'elle peut réellement connecter avec ces femmes.

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À l'aide d'un équipement de camping et de quelques accessoires de salon, Shirley lave et colore elle-même les cheveux de ses clientes. Elle propose également un système de douche solaire adapté aux personnes en situation de handicap, un besoin urgent pour celles et ceux dont le fauteuil roulant rend l'accès difficile aux quelques églises et centres spécialisés qui proposent des douches et toilettes publiques. Tous les samedis donc, elle remplit plusieurs sacs d'eau chaude depuis chez elle, dispose une bassine et une chaise près d'un caniveau et commence par faire un shampooing à ses clientes.

« Il y a quelque chose de spécial dans le fait de laver les cheveux de quelqu'un, » nous dit Shirley. « Quand on vit dehors, on ne ferme jamais l'oeil, on est toujours sur le qui-vive. Ça veut dire beaucoup pour elles de pouvoir s'asseoir sur une chaise, fermer les yeux et me faire confiance. C'est comme dans un salon de coiffure ordinaire au final, on a tendance à s'ouvrir quand on est assis sur le fauteuil. »

Photo : Refinery29.

Samedi dernier, on a fait la connaissance d'une femme nommée Alicia, qui a patiemment attendu son tour toute la matinée. Elle a toujours eu envie d'essayer le blond, une nuance qui lui rappelle sa sœur. Shirley se fait un point d'honneur à laisser le choix aux femmes, les appeler par leur nom et de les dorloter autant qu'elle peut. Redonner une dignité à ses femmes en leur offrant de pouvoir apprécier leur reflet dans le miroir, c'est ce qui motive Beauty2TheStreetz toutes les semaines.

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« Ça fait des années qu'on ne m'a pas teint les cheveux » nous dit Alicia. Elle poursuit en ajoutant qu'elle en a envie depuis longtemps mais n'a pas les moyens d'acheter une couleur ni de l'appliquer. Avec sa nouvelle coupe et couleur de cheveux, elle espère pouvoir trouver plus facilement un logement. « Ça ne vous semble peut-être pas grand chose, mais ça fait la différence. Surtout quand quelqu'un le fait pour vous, c'est encore plus spécial. » Alicia repart avec les cheveux blonds dorés, un grand sourire et des faux cils dans la poche, qu'elle a choisi dans la boite à dons de Shirley. "Je ne porte pas de maquillage mais j'adore les faux cils » nous dit-elle.

Shirley se fait appeler la « dame au maquillage ». Grâce aux dons faits sur sa page Instagram, elle offre toutes les semaines rouges à lèvres, eyeliner et autres mascara aux sans-abri, en plus de tampons, brosses à dent et savons de toilette.

Ça veut dire beaucoup pour elles de pouvoir s'asseoir sur une chaise, fermer les yeux et me faire confiance

Shirley Raines

Chaque semaine, Shirley a besoin d'environ 500$ pour nourrir, maquiller et coiffer entre 300 et 400 personnes. Pour cela, Beauty2TheStreetz dépend presque entièrement des dons de ses followers, bien que Shirley ait lancé l'asso avec son argent personnel. Dernièrement, elle a du trouver des stratagèmes pour faire autant avec moins de budget, parce que les donations ont baissé.

Photo : Shirley Raines.
Photo : Shirley Raines.

Pour Shirley et son équipe, le problème des sans-abri à Los Angeles est trop grave pour être ignoré. Au cours des six dernières années, le nombre de sans abri à L.A. a augmenté de 75% pour atteindre plus de 50 000 personnes aujourd'hui, mais c'est loin d'être un problème isolé. On estime que 553 000 personnes étaient sans abri aux Etats-Unis en 2018 - dont 39% de femmes et jeunes filles - ce qui représenterait une augmentation globale de 4 300 personnes depuis 2017 (chiffres du Département du Logement et du Développement Urbain américain, le HUD). En réalité, on estime que les chiffres sont encore plus élevés, seulement il est très difficile de recenser des personnes itinérantes.

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Environ un tiers des personnes recensées en 2018 dorment dans des lieux insalubres, comme des bâtiments abandonnés, des campements ou d'autres lieux jugés impropres à l'habitation humaine - et ce nombre est encore plus élevé chez les moins de 25 ans. Environ la moitié des jeunes en situation de logement irréguliers n'étaient pas hébergés l'année dernière.

Alors que le phénomène gagne du terrain mais que les aides ne progressent pas, les associations comme celles de Shirley sont de plus en plus importantes. Redonner une dignité aux sans-abris en leur permettant l'accès aux soins hygiéniques & cosmétiques est pourtant la pièce manquante au cercle vicieux dans lequel se trouve les sans-abris. C'est ce qui permet à ces personnes de ne plus être discriminées dans les lieux publics, ou lorsqu'elles recherchent un emploi.

Les sans-abris invisibles : les femmes

« Le nombre de femmes sans-abris n'a pas cessé d'augmenter ces dernières années » nous dit Suzanne Wenzel, doctorante et professeur à lUSC. Wenzel attribue cela au fossé entre les salaires, mais aussi aux violences domestiques. « Certains rapports officiels montrent que jusqu'à 90% des femmes actuellement sans domicile ont été victimes de violences physiques ou sexuelles au cours de leur vie », dit-elle.

Photo : Refinery29.

Michelle Parker*, 37 ans, est devenue SDF après s'être enfuie de chez elle, par peur de son petit ami qui la battait. « J'avais peur qu'il finisse par me tuer ». Cette mère de quatre enfants a donc du demander à sa famille de prendre soin d'eux le temps qu'elle obtienne un nouveau logement. Elle savait qu'elle aurait du mal à trouver un emploi, mais elle n'aurait jamais imaginé qu'elle finirait à la rue. Aujourd'hui, elle vit dans une petite chambre, avec cuisine et salle de bain partagées. « Je n'aurais jamais cru que ça pourrait m'arriver. » Etre séparé de ses enfants est très douloureux pour une femme qui a tout perdu, et beaucoup n'ont pas la chance d'avoir une famille pour prendre soin de leurs enfants, ce qui veut dire aussi que la plupart des enfants de SDF finissent à la DASS.

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Si beaucoup de femmes victimes d'aggression sexuelles se retrouvent à la rue pour fuir leur agresseur, elles seront les premières proies une fois sans abri. Arien Williams, 29, est SDF depuis 5 ans. « Toutes les femmes SDF que je connais ont été violées. J'ai moi-même été violée plusieurs fois. »

« Pour une femme SDF, c'est presque impossible de ne pas être victime d'une aggression à un moment ou un autre. » Pourtant, les services sociaux ne suivent pas. Selon la Los Angeles Homeless Services Authority (LAHSA) (l'autorité en charge de venir en aide aux sans abris de Los Angeles), les femmes représentent 31% des personnes sans domicile fixe, mais seulement 17% des lits sont proposés aux femmes. Au total donc, ça représente 586 lits pour 16 000 femmes, d'après leurs chiffres. En plus de ça, beaucoup de femmes à qui nous avons parlé disent ne pas se sentir en sécurité dans les dortoirs mixtes, ce qui représente encore la majorité des services.

Photo : Refinery29.

Arien explique qu'elle n'est pas SDF par choix : elle a été victime d'abus plusieurs fois durant son enfance et le début de sa vie adulte, ce qui a beaucoup impacté sa vie professionnelle. Elle a essayé plusieurs fois de vivre dans un foyer, mais elle ne se sentait pas en sécurité entourée d'hommes. Plutôt que d'avoir constamment à regarder par dessus son épaule, elle a décidé de vivre dans une tente. Sauf qu'elle est condamnée à ne pas trop s'éloigner de ses affaires, de peur de se les faire voler. Elle se sent bloquée.

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De temps à autre, Arien demande à une amie de surveiller sa tente, le temps qu'elle se rende à l'Eglise, qui propose parfois des douches publiques privatisées. La plupart du temps, elle utilise des lingettes pour bébé pour faire sa toilette. Cette année a été particulièrement difficile avec le record de pluies à LA., ce qui l'a forcé à changer de spot, un lieu pas trop loin d'une école et qui donc était relativement sûr. Surveiller sa tente et le temps qu'il fait obsède toutes les pensées d'Arien.

Tout est plus dur quand on est une femme, dit-elle. « Le pire, c'est d'avoir ses règles quand on est à la rue, ajoute-t-elle. « Quelle que soit votre hygiène pendant que vous êtes ici, ce n'est pas la même chose que quand vous êtes à la maison. »

Photo : Refinery29.

Les SDF se faisant de plus en plus nombreux à Los Angeles, on pourrait penser que la ville réagirait rapidement. Pourtant, le maire de Los Angeles, Eric Garcetti essaie de faire adopter un programme depuis des années, sans succès. L'idée : proposer des refuges aux sans abris qui seraient accessibles à leurs animaux de compagnie et éviteraient qu'ils soient séparés de leurs partenaires. A ce jour, seulement trois refuges sur 40 ont été construits, principalement parce que beaucoup de citoyens y sont opposés. On pense par exemple au mouvement « NYMBY » (Not In My Backyard, « pas près de chez moi », pour traduire en français).

Photo : Refinery29.

« C'est littéralement la question la plus compliquée que j'aie jamais eu à aborder, non seulement du fait de sa complexité mais aussi parce qu'elle touche des populations très diverses. » nous a dit Garcetti. « En tant que maire, je prends évidemment la responsabilité d'aider tous nos citoyens, mais c'est aussi quelque chose que nous devons faire ensemble. C'est un effort commun qui dépasse les simples limites du gouvernement. »

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Los Angeles est donc aux premières loges de la crise du logement aux Etats-Unis, mais ce n'est pas pour autant que la ville a ouvert la voie à des solutions pour le reste du pays. Ce que montre néanmoins l'engagement d'associations telles que Beauty2TheStreetz, c'est que les sans-abris, quel qu'ils soient, ont besoin de plus qu'à manger et à boire. Ils ont aussi besoin qu'on leur permette de prendre soin d'eux.

Le lien entre beauté et crise du logement

Comme Shirley, le coiffeur Jason Schneidman a pris la mesure du problème et décidé de proposer ses services à la communauté. Tous les mois, il s'installe donc à Skid Row et Venice Beach pour couper les cheveux et les barbes des sans-abris, parfois aidés de ses pairs ou de l'audience qui le suit sur Instagram. A la différence de Shirley, Jason a déjà été SDF, après une descente aux Enfers dans laquelle crack et cocaïne ont joué un rôle important. Après 15 ans sans rechute, il a pu fonder une famille et faire décoller sa carrière, avec une clientèle qui comprend des célébrités telles que James Corden, Jonah Hill et Paul Rudd. Pour Jason, couper les cheveux et raser la barbe de sans-abris est une manière de rendre ce qu'on lui a donné. « Je sais que je rends service aux gens parce que j'en suis passé par là. Quand j'étais enfin prêt à demander de l'aide, quelqu'un m'a aidé. Je sais aussi que certaines personnes n'ont aucunes ressources. »

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Photo : Refinery29.

Seulement, ce genre d'efforts continus nécessitent des financements. Pour ce, Jason a lancé une gamme de produits dont une partie des bénéfices sont reversés à son asso, mais aussi à un programme de réhabilitation et désintoxication à L.A. Il espère pouvoir contribuer encore d'avantage à la communauté et cherche de nouvelles solutions.

Jason & Shirley ont reçu l'autorisation de déclarer leur activité comme bénévoles et espèrent réunir de plus en plus de monde autour de ce projet. « Mon rêve serait de pouvoir proposer une douche mobile avec une coiffeuse où je pourrais faire s'asseoir les filles, avec un miroir entouré de lampes pour qu'elles puissent se voir en pleine lumière » nous dit Shirley.

Non seulement elle n'aurait plus à transporter des litres d'eau, mais cela permettrait à beaucoup plus de gens de s'en servir. On pense par exemple au projet Lava Mae, un camion équipé de douches mobiles qui circulait entre Los Angeles et dans la région de la Baie. Équipé de serviettes propres et d'eau chaude, Lava Mae propose une douche de 20 minutes gratuites aux sans abris, un besoin élémentaire qui manque pourtant cruellement partout.

Photo : Lava Mae.
Photo : Lava Mae

« On peut aider jusqu'à 45 personnes par jour et par camion, mais malheureusement, la demande dépasse largement l'offre. » nous dit Doniece Sandoval, fondatrice de Lava Mae. « Si notre budget était illimité, on pourrait faire beaucoup plus. On espère quand même que ça encouragera le gouvernement à prendre ses responsabilités, car le service qu'on propose est vital pour ses individus, mais aussi pour des questions de santé publique. »

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Récemment, Lava Mae a reçu le partenariat d'Unilever dans le cadre du projgramme The Right To Shower (« Le droit de prendre une douche ») et ont donc pu proposer davantage de cabines de douches aux sans abri. Cette année, tous les profits engendrés par The Right To Shower seront renversés à des ONG similaires à Lava Mae.

Photo : Lava Mae

« Notre marque part de l'idée que l'hygiène est être un droit de l'homme fondamental. Et de fait, qui irait contredire l'idée que prendre une douche peut redonner leur dignité à des sans-abris ? » demande Laura Fruitman, co-fondatrice et directrice générale de The Right To Shower. « En 2019, nous avons décidé de donner 100% de nos profits à des associations qui permettent l'accès à des douches mobiles sûres pour les sans abris ». Leur gamme de produit inclus des savons, gels douches et autres produits de douches qui coûtent entre 4,50 € et 8,10 €, et sont disponibles sur Whole Foods et Amazon.

Pour les sans abris tout comme ces activistes, l'hygiène et la beauté sont devenus cette sorte de carrefour inattendu, où l'on peut espérer obtenir un confort que la rue ne permet pas : prendre soin de soin et de son corps. « Le fait d'offrir des douches aux sans abris ne résoudra pas la crise du logement, mais c'est indéniablement un premier pas dans la bonne direction, celle de l'espoir et la dignité humaine. » nous dit Sandoval.

Photo : Refinery29.

Pour Arien, prendre soin d'elle joue un rôle important pour sa santé mentale, mais pas que. C'est aussi ce qui lui permet d'obtenir de petits boulots en intérim, et aussi sûrement ce qui l'aidera à trouver un logement bientôt. « Je me maquille et je prends soin de moi pour ne pas avoir l'air d'une SDF », dit-elle. « C'est aussi ce qui me permet de circuler parmi la foule sans souffrir de discrimination. »

Et comme Shirley ne manque jamais de le rappeler : « Les gens ne finissent pas toujours à la rue parce qu'ils ont fait quelque chose de mal. La vie est dure, et certaines personnes l'apprennent à leurs dépends. Il ne suffit pas de nourrir une personne pour qu'elle survive. Nourrir l'esprit est tout aussi important que de nourrir le corps. Quand l'esprit se meurt, c'est l'individu entier qui disparaît. » Une belle leçon d'entraide et de philosophie.

* Les noms ont été changés pour préserver l'anonymat des personnes qui témoignent.

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