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Syllogomanie : “J’accumulais les objets pour me protéger du monde”

Photo by Anna Jay.
Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été bordélique. J'ai maintenant la trentaine, mais quand j'étais petite, je vivais dans une jungle de désordre : mon lit entouré de vêtements, de maquillage et de chaussures, de cassettes et de CD. Sur les murs, j'avais des affiches et des coupures de journaux, des autocollants recouvraient chaque centimètre de l'armoire. Les profs et les autres adultes étaient très gentils et attentionnés, j'étais une fille timide et légèrement malodorante, portant treize colliers en plastique et un sac poubelle rempli de nounours. Chez les coiffeurs, le personnel du salon de coiffure emballait mes boucles coupées et les mettait dans un sac en papier pour que je les ramène à la maison. Dans le chaos de ma chambre, on pouvait trouver de petits tiroirs remplis de cheveux, ma boîte à bijoux contenait une petite ballerine qui virevoltait sur une musique tintante, mais elle n'accueillait pas de bijoux, seulement ma collection de dents de lait et les vieilles lentilles de contact qui avait appartenu à ma mère, sèches et jaunies.
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J'ai eu une enfance assez mouvementée, marquée par les allées et venues de personnes dans ma vie, et c'est dans ce chaos que je me sentais le plus en sécurité, avec de vieux catalogues de la Redoute, des poupées cassées et des nounours à l'air dérangé, des flacons de parfum vides et de vieux collants filés. J'accumulais compulsivement, je m'accrochais à des objets inutiles alors que ma vie était secouée comme un presse papier vaseux. La syllogomanie se caractérise par "l'accumulation" et le "stockage chaotique" d'un nombre excessif d'objets, souvent des objets qui n'ont pas ou peu de valeur monétaire. Et pour les personnes qui amassent des objets sur de longues périodes, les habitudes se normalisent au fil du temps.
Au début de la vingtaine, mon appartement était plein de cochonneries : bouteilles de vin vides, magazines et journaux datant d'il y a je ne sais combien d'années, vêtements qui ne m'allaient plus depuis mon enfance. Mais parce que le désordre était si profondément ancré dans ma personnalité et que tous ceux avec qui j'habitais à 20 ans vivaient dans un joyeux bordel, je considérais ce désordre comme un élément de ma personnalité. Ce n'était pas handicapant pour moi, mais ce qui est devenu pénible, c'est mon anxiété sociale grandissante. J'ai commencé à avoir du mal à sortir sans boire de l'alcool, à répondre au téléphone sans grande appréhension, et plus je me cachais, plus les sentiments s'aggravaient. Plus tard, alors que je découvrais mon ambition et décidais que je voulais devenir écrivaine, j'ai réalisé que j'allais devoir apprendre à gérer mon anxiété sociale pour pouvoir réaliser ces choses flippantes que les écrivains doivent faire : les groupes d'écriture ! Les discussions ! Les lectures ! C'est ainsi que je me suis inscrite sur une liste d'attente pour suivre une thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Je n'ai jamais pensé que l'anxiété sociale et ce trouble pouvaient être liés, mais lorsque la thérapie a commencé, j'ai vu les choses différemment.
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Pour moi, l'anxiété se traduit par la sensation d'être exposée : une sonnerie de téléphone me fait l'effet d'une sirène d'alarme. Chaque sortie, chaque échange est un risque d'échec et une occasion d'être rejeté. C'est prendre le risque que la vérité éclate : on est chiant, bête ou pas drôle, mais en même temps, on se sent aussi très seul et on a très envie de parler aux gens.

Mais aujourd'hui tout à changé. Nous vivons à une époque où nous sommes tous invités à adopter la distanciation sociale, où nous sommes séparés de nos proches et de nos amis. Mais même avant tout cela, alors que j'écrivais mon premier recueil d'histoires, Paradise Block, du nom de la tour où se déroulent la plupart des histoires, je pensais à ces cocons humains. Mon psy et moi avons parlé de l'envie de se cacher et de se protéger, en contraste avec le besoin d'intimité humaine. Cela peut être source d'aliénation et de confusion, ces deux instincts qui s'opposent l'un à l'autre. Pour moi, l'anxiété se traduit par la sensation d'être exposée : une sonnerie de téléphone me fait l'effet d'une sirène d'alarme. Chaque sortie, chaque échange est un risque d'échec et une occasion d'être rejeté. C'est prendre le risque que la vérité éclate : on est chiant, bête ou pas drôle, mais en même temps, on se sent aussi très seul et on a très envie de parler aux gens. J'aime l'idée de l'obscurité et de la lumière pour expliquer ce sentiment. La notion que l'obscurité est effrayante fait profondément partie de notre culture, mais c'est aussi le cas de la lumière - une blancheur brillante et éclatante - qui peut aussi faire peur. La lumière, ce sont les espaces vides, les grandes pièces stériles et les yeux cliniques, le rejet et le jugement - dans l'obscurité d'une chambre encombrée, il y a un fouillis d'ombres, de coins et de recoins - il y a du mystère et des endroits où se cacher.
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C'est addictif, ce sentiment d'invisibilité et de sécurité, ce cocon humain, mais aussi très désagréable. Je sais maintenant que cette tendance à l'accumulation est motivée par l'anxiété, et non par un caprice de collectionner et de stocker des choses qui vous plaisent. Il s'agit plutôt d'un complexe du "et si" - et si j'en avais besoin ? Et si la personne à laquelle je suis émotionnellement attachée venait à disparaître ? Dans Paradise Block, j'ai créé un personnage de femme âgée, Min Dimorier, en partie pour explorer ces sentiments par le biais de la fiction. Cette femme s'accroche à des objets qui ont appartenu à des membres de sa famille disparus, en particulier à son mari Louie, mort il y a de nombreuses années. Min transfère ses sentiments et ses émotions dans les objets et n'arrive plus à s'en débarrasser, mais lorsqu'elle rencontre un homme qui écoute ses histoires, cela l'aide à se libérer du désordre qui l'encombre. Je voulais que Min connaisse une certaine rédemption, mais il n'est pas facile de créer un espace où un tel soulagement peut se produire, surtout en ce moment, après une longue période d'enfermement.
Aujourd'hui, je ne vis plus dans le chaos. Quand nous serons sortis de la crise sanitaire, mes amis viendront sans doute me rendre visite, et ne rentreront pas chez eux avec quelque chose de collé à leurs vêtements ou avec l'envie de se jeter sous une douche très chaude. Ce n'est pas tant que j'ai jeté beaucoup de choses pendant cette année de calme et de solitude, mais surtout que je n'ai pas introduit de nouveaux objets chez moi - peut-être que le fait de devoir passer moins de temps en dehors du nid m'a permis de ne plus ressentir le besoin de m'enfermer. Je pense cependant que, quelles que soient les circonstances, il y aura une bonne dose d'anxiété quand nous pourrons de nouveau nous réunir en groupe. Est-ce qu'une partie d'entre nous va préférer rester à la maison ? Se blottir dans un coin, entourés de vieux objets et d'odeurs familières ? Ou peut-être que c'est juste moi - peut-être serez-vous plus enclin à courir au bar, sans aucune restriction et avec votre aisance naturelle. Quoi qu'il en soit, quand nous sortirons, je ferai bien attention à ne pas laisser le chaos revenir aux piles de papiers, livres, bibelots et vêtements qui s'élevaient pour bloquer les fenêtres et créer des ombres pour se cacher - après cette année d'isolement, j'ai besoin de passer au moins quelques après-midi à la lumière.
Paradise Block, le premier receuil de nouvelles d'Alice Ash est disponible sur Amazon.

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