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J'ai lu Le Secret — voilà ce que j'en retiens

Photo by Rubn Daro Martnez Francisco / EyeEm

J’étais assise sur la terrasse d’un café un chaud vendredi d’avril après une mauvaise semaine. J'’essayais de finir un projet urgent. Je fixais la page blanche sur mon ordinateur avec un café froid à moitié bu sur la table. Si vous cherchez l’expression « au bout du rouleau » sur Google, vous trouverez une photo de moi, les traits tirés, tapant des mots pour les effacer quelques minutes plus tard.

Puis, mon ordinateur s’est éteint. L’écran est devenu tout noir. Comme ça, sans prévenir. Le disque dur qui m’avait suivi deux jobs durant et qui portait le travail qui faisait ma fierté venait tout simplement de rendre l'âme. Telle une Carrie Bradshaw pathétique, je me suis précipitée à l’Apple Store en essayant de toutes mes forces de retenir mes larmes.

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Me voilà donc en train de pleurer à l’Apple Store, pendant qu’un jeune homme m’expliquait qu’il n’y avait probablement rien à faire, mais comme c’était un week-end férié, on devrait attendre mardi pour en savoir plus.

Je suis d’ordinaire du genre à penser à la solution et non au problème, mais là, c’était juste trop. Je me suis sentie sombrer dans une spirale de négativité. « Tout va de travers ! » J’ai pleuré et aucune solution ne semblait convenir. Tout ce qui se présentait à moi, c'était des portes qui semblaient donner sur toujours plus de problèmes.

Rien de ce qu’on pouvait me dire n’y faisait. Pire, cela avait même tendance à m’irriter. « Mais arrête de stresser et dis toi que tu peux y arriver, » me disait une amie sur un ton ferme. « T’as pensé à diviser tout ce que tu fais en blocs de 45 minutes ? » me conseillait une autre en pensant bien faire. Leurs conseils avaient sur moi l’effet du crissement d’ongles sur un tableau noir. Je savais ce que j'avais à faire, et ce n’était pas de travailler plus. Ce dont j’avais besoin, c’était de vacances, de faire une pause. J’avais besoin de temps pour moi, loin des écrans, loin des exigences des personnes qui m’entourent et de leurs suggestions — aussi bien intentionnées soient-elles. Mais je ne pouvais pas me le permettre à cause d’une échéance très importante qui ne pouvait pas être repoussée. Sans oublier la fortune que j’allais devoir dépenser pour un nouvel ordinateur.

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Puis un ami m’a suggéré quelque chose d'un peu farfelu, quelque chose qui ne m'irritait pas autant que tout le reste. Appelons le Jim. « Vicky, tu as lu Le Secret ? » m’a-t-il demandé alors que je lui dressais la liste de mes problèmes. « C’est absolument génial ! Tu verras, ça va changer ta façon de voir les choses, » a-t-il surenchéri. Jim estime que Le Secret lui a permis de se sortir d'une mauvaise relation et lui a permis de créer sa propre entreprise (qui connaît actuellement un grand succès). Si vous rencontrez un jour Jim, vous aurez du mal à l'empêcher de parler de ce livre.

Vous avez presque certainement entendu parler du livre Le Secret. En réalité, il y a de fortes chances pour que quelqu'un vous ait recommandé ce livre à un moment où les choses allaient mal pour vous. Il préconise une forme particulière de pseudoscience (euh pardon, je voulais dire « développement personnel ») basée sur l'idée de la loi de l'attraction — on parle bien de développement personnel et non de physique quantique.

Le mantra de Byrne est « demander, croire, recevoir ». Son idée, pour faire court, c’est qu’avec des pensées positives, on peut attirer de bonnes choses.

Le Secret a été publié en 2006. Il s’est depuis vendu à plus de 30 millions de copies et a été traduit dans 50 langues, rapportant à son auteure, Rhonda Byrne autour de 300 million d’euros en 2009.

Le mantra de Byrne est « demander, croire, recevoir ». Son idée, pour faire court, c’est qu’avec des pensées positives, on peut attirer de bonnes choses. Byrne voit cela comme une loi universelle inévitable et irréfutable, un peu comme la gravité. Cela implique donc également que si on a des pensées négatives, on ne peut qu'attirer de mauvaises choses. Parmi les fans de la théorie de Byrne on compte des célébrités comme Oprah Winfrey, Will Smith et Lady Gaga.

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Mais revenons à Jim. Ce n’était pas la première fois qu’on me recommandait le best-seller de Rhonda Byrne. Plus de 10 ans après sa publication, Le Secret semblait ressurgir régulièrement dans ma vie. Il suffit d’une rapide recherche de #TheSecret sur Instagram pour trouver 1,7 million de publications, avec #lawofattraction, on atteint les 6,7 million de résultats. Beaucoup de choses ont changé depuis 2006, mais il est clair que l’on cherche toujours à améliorer le cours de nos vies.

L’ami d’un bon ami à moi essaie de convaincre de lire le livre de Byrne depuis presque 5 ans, et, plus récemment, alors que je faisais une crise de panique dans un avion en route vers l’Islande, un homme d’affaire quinquagénaire s’est mis à me citer le livre et me dire que si je le souhaitais réellement, je pouvais guérir ma peur de l’avion — là, tout de suite — grâce à la force de mes pensées positives. Spoiler : ça n’a pas fonctionné.

Mais cette fois je n'avais rien à perdre à essayer, j’ai donc décidé de mettre mon scepticisme au placard et de donner sa chance à ce livre. Je me suis fait couler un bain, et j’ai téléchargé le livre audio, narré par Byrne et son panel d’« experts » – dont un “spécialiste de la transformation personnelle” et des “visionnaires”.

Je ne vais pas vous mentir, l’idée d'améliorer sa vie, devenir riche, rencontrer plus de succès, et peut-être même rendre le monde meilleur grâce au simple pouvoir de la pensée était plus que tentante.

Je ne vais pas vous mentir, l’idée d'améliorer sa vie, devenir riche, rencontrer plus de succès, et peut-être même rendre le monde meilleur grâce au simple pouvoir de la pensée était plus que tentante. Et si c'était mon cynisme et ma réticence à lire Le Secret qui m'empêchaient de me connecter à l'univers et de vivre ma meilleure vie ? Pourquoi le livre et ses nombreux disciples étaient-ils si persistants si cela ne fonctionnait pas ? Était-ce l'univers qui mettait ces personnes sur mon chemin pour me pousser à le lire afin que je puisse enfin progresser vers le prochain niveau de l'existence ? Je voulais en avoir le coeur net.

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Durant les deux jours qui ont suivis, principalement depuis ma baignoire, j’ai écouté la totalité du livre sans arrêt afin de bien m'en imprégner. Selon Byrne, la loi de l’attraction est vieille de milliers d’années et elle a aidé les personnes dans la confidence à demander à l’univers tout ce dont elles avaient besoin pour vivre une vie pleine et épanouie. Elle cite Beethoven, Einstein, Platon, Galilée, et même Jésus comme maîtres de la discipline.

Je laissai les mots de Byrne et les affirmations des soi-disant d'experts me submerger et tentai de suspendre mon incrédulité :

« Il n’y a pas de situation désespérée. Chaque circonstance de votre vie peut changer ! »

« Il y a une vérité profonde en vous qui attend que vous découvriez et la vérité est la suivante : vous méritez toutes les choses que la vie a à offrir. »

« Vos pensées se matérialisent ! »

« Si vous vous sentez bien, c'est parce que vous pensez bien. »

« Demandez une fois, croyez que vous avez reçu, et tout ce que vous avez à faire pour recevoir est de vous sentir bien. »

En pensant particulièrement mon ordinateur qui venait de me lâcher et le coût qu’il risquait d’engendrer, j’ai ruminé sur cette section d’un enseignant de la loi de l’attraction nommé Bob Proctor :

« Vous attirez tout ce dont vous avez besoin. Si vous avez besoin d’argent, vous l’attirez. Si vous avez besoin de quelqu’un, vous allez l’attirer. Vous devez faire attention à ce qui vous attire, car si vous conservez des images de ce que vous voulez, vous allez être attiré·e par des choses et elles vont être attirées par vous. »

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Je me suis retenue de ne pas jeter mon portable — sur lequel j'écoutais le livre audio — quand je suis arrivée au passage affirmant que la pensée positive pouvait guérir le cancer : « La maladie ne peut exister dans un corps aux idées harmonieuses. »

L’implication que celles et ceux qui restent positi·ve·f·s face à une maladie grave survivent, contrairement à ceux qui ont des pensées négatives est une théorie toxique qui n'a absolument aucun fondement scientifique. (C'est un sujet que Susan Sontag aborde longuement dans son livre de 1978 Illness as Metaphor, si cela vous intéresse.)

Néanmoins, j'ai persévéré. Au cours du week-end, quand des amis m'ont envoyé des textos sur des sujets qui les frustraient : vouloir une augmentation de salaire, ne pas obtenir le travail qu'ils convoitaient, ne pas avoir de nouvelles de leur crush, leurs craintes quant à leur avenir, j'ai répondu en citant Le Secret. J'ai gardé les ondes négatives à distance, n'offrant que des mots positifs. J'ai tout fait selon les règles.

C’était enfin le lundi soir. Si je souhaitais vraiment que ça arrive, si j’y croyais assez fort, allais-je me lever le lendemain avec la nouvelle que mon ordinateur n’avait rien ? Allais-je voir apparaitre comme par magie quelques centaines d’euros sur mon compte ?

À notre époque, si ce n'est pas Le Secret ou sa suite, The Power, qu'on nous recommande de lire, c’est un mème #inspirant qu'on voit partout sur Instagram. Où que vous alliez, vous trouverez quelqu’un pour vous vanter les mérites de la pensée positive. Les pensées négatives sont à éviter comme la peste, personne n’aime les rabat-joies et, de toute façon, nous sommes tous supposés nous entourer de personnes positives, donc si vous vous plaignez, vous pourriez très vite vous retrouver très seul·e.

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La logique, selon Le Secret et sa méthode de positivité, semble être la suivante : mieux vaut prétendre que tout va bien et croire que tout ira pour le mieux que de reconnaître que les choses vont mal.

Mardi est enfin arrivé. L’Apple Store a appelé. Ils ne pouvaient rien faire pour mon ordinateur. À moins de débourser près de 1 000 €, tout ce qu’il me restait à faire, c’était d’en acheter un nouvel. Et malheureusement, pas de dépôt d’argent miracle sur mon compte en banque non plus.

Alors voilà ma conclusion : lorsqu'une personne rencontre de gros problèmes auxquels elle a du mal à faire face, nous ne devrions pas tenter de calmer les choses avec un optimisme aveugle. Il est nécessaire de rester réaliste et rationnel. L'idée que l’on puisse se sortir de toutes les situations grâce à la manifestation est tout simplement fausse. Ce que l’on sait à l’heure actuelle, c’est que les jeunes rencontrent de grandes difficultés. On sait que les loyers sont hauts et les salaires sont bas. On sait que tout cela est lié à la classe sociale et au niveau de richesse. Vous êtes maintenant trois fois plus susceptible de posséder une maison si vos parents sont propriétaires et d’occuper un poste haut placé si vous êtes diplômé·e d’une grande école. Donc, franchement, la vie est loin d'être juste et aucune pensée positive ne peut changer cela du jour au lendemain.

En attendant de récupérer la carcasse de mon ordinateur à l’Apple Store, j’ai recherché Rhonda Byrne sur Google. Figurez-vous qu’elle a récemment rencontré des difficultés à vendre son manoir californien au prix qu'elle souhaitait et a dû revoir ses exigences à la baisse. Comment est-ce qu’elle explique cela ? Elle n’avait « pas fourni suffisamment de temps et d'énergie » bien sûr.

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Les mauvaises choses n’arrivent pas parce que vous laissez entrer des pensées négatives dans votre esprit. Ce sont des choses qui arrivent un point c’est tout. C’est ça le vrai secret.

Vous pouvez consacrer tout votre temps, toute votre énergie et votre attention à quelque chose, pourtant, parfois, rien n'ira comme vous voulez. Pour l’instant, personne n’a trouvé de remède à cela et, si vous y réfléchissez bien, c’est bien plus libérateur que d’adhérer à une idéologie pseudo scientifique qui dit que tout ce qui ne va pas dans la vie est de votre faute, et dédouane ainsi le reste de la société.

Cela fait maintenant plus de 10 ans que Le Secret a été publié. Les gens continuent de l'acheter, de le recommander et postent à ce sujet en ligne. Je doute que nous arrêtions jamais de chercher des réponses pour expliquer pourquoi les choses tournent mal. Mais comme pour mon bain, la pensée positive peut certes sembler agréable et réconfortante au début : on se sent soutenu·e, mais si on reste trop longtemps à l'intérieur, l'eau devient froide, la peau se flétrit et on obtient très peu de résultats.

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