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Que signifie vraiment “décoloniser” le bien-être ?

Photo : Getty Images.
Golden latte au curcuma, gua sha pour le visage, yoga, palo santo - l'industrie moderne du bien-être emprunte largement aux traditions ancestrales des cultures du monde entier. Alors que l'industrie du bien-être est toujours plus rentable au niveau international, un nombre croissant de praticien·nes et d'expert·es demandent à celles et ceux qui y participent d'examiner d'un oeil critique leurs pratiques, et de se demander en quoi elles peuvent être nuisibles et de s'efforcer de corriger cela.
Certain·es appellent ce processus une tentative de "décoloniser" l'industrie du bien-être, ce qui peut être compris au sens large comme une tentative de décentrer la blancheur dans les espaces de bien-être, d'honorer l'histoire complexe des pratiques de bien-être et d'apporter une forme de réparation aux communautés auxquelles les pratiques ont été empruntées. 
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Toutes les cultures empruntent des modes, des aliments, des langues et des traditions à d'autres, ce qui n'est pas foncièrement mauvais. Comme l'a écrit Kwame Anthony Appiah, professeur de philosophie et de droit à l'université de New York, dans la rubrique "The Ethicist" du New York Times, "la question clé dans l'utilisation de symboles ou d'insignes associés à un autre groupe identitaire n'est pas la suivante : Quels sont mes droits de propriété ? Il s'agit plutôt de se demander : Mes actions sont-elles irrespectueuses ? Ce qui rend certaines formes de tenues racistes, c'est qu'elles affichent un mépris ou un manque de respect pour les personnes d'une autre identité "raciale" (c'est la marque du racisme ordinaire), ou qu'elles contribuent à l'oppression continue d'un groupe (la marque du racisme structurel)."
Le Dr Appiah faisait ici référence spécifiquement aux vêtements - la question portait sur une personne blanche se parant "d'un "costume" représentant une personne de couleur." Mais on pourrait envisager d'appliquer le même type de critères déterminants au bien-être. "Certaines des pratiques que nous exerçons dans les espaces de bien-être sont celles-là mêmes qui ont été arrachées à ces communautés, en particulier aux communautés autochtones, et pour lesquelles elles ont été vilipendées", explique Rebeckah Price, défenseuse du bien-être, militante antiraciste, professeure de yoga et cofondatrice de The Well Collective. Elle cite notamment le fait de brûler de la sauge ou le smudging. Au Canada, les jeunes autochtones ont été placés dans des pensionnats qui interdisaient des pratiques d'une grande importance culturelle, comme ces rituels de purification. Aujourd'hui, il est difficile d'entrer dans un studio de yoga sans y trouver un paquet de sauge rangé dans un tiroir, et beaucoup de ces studios appartiennent à des personnes blanches non-autochtones. 
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Ce que veut dire Price, ce n'est pas que les personnes blanches ne devraient jamais utiliser de sauge. Mais pour elle, décoloniser le bien-être signifie examiner d'un œil critique ce comportement précis. Il ne suffit pas de connaître l'histoire des pratiques traditionnelles, il faut aussi se demander si nous ou l'entreprise de bien-être que l'on soutient fait quelque chose pour aider les communautés dont ces pratiques sont issues. Embauchent-ils des instructeur·ices autochtones ? Donnent-ils de l'argent à des causes qui soutiennent les peuples autochtones, ou proposent-ils des cours gratuits ou à prix réduit pour les personnes dans le besoin ? 
Un autre exemple est celui du yoga, une pratique ancestrale indienne qui, dans les pays occidentaux, est souvent présentée comme une forme d'exercice physique vaguement dérivé du yoga hatha, mais qui est dépouillé de son essence spirituelle. Certain·es qualifieraient cette relation au yoga de forme de colonisation - définie par Larousse comme "l'action d'occuper un lieu, de l'envahir en s'installant en grand nombre dans des résidences secondaires, des propriétés". 
Décoloniser le yoga signifie différentes choses pour différentes personnes, mais il ne s'agit pas nécessairement de définir qui est "autorisé·e " ou non à participer à cette pratique. Il s'agit plutôt d'identifier et de réparer les dommages causés par l'appropriation ou la monétisation du yoga. Récemment, par exemple, lorsque l'Inde a connu une forte augmentation du nombre de cas et de décès dus au COVID-19, certaines personnes ont commencé à se demander s'il n'était pas de la responsabilité des studios de yoga de participer aux efforts de soulagement dans le pays
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Bien entendu, des conversations similaires ont lieu en dehors du secteur du bien-être. "L'industrie du bien-être n'est essentiellement qu'un microcosme du macrocosme des systèmes d'oppression qui opèrent dans le cadre structurel plus larges de la société", affirme Price. "Ainsi, ce que vous observez dans le domaine du bien-être n'est pas différent de ce que vous pouvez voir potentiellement dans le système éducatif ou dans le domaine du racisme environnemental."
Il convient de noter que certaines personnes désapprouvent l'utilisation du terme "décoloniser" dans le contexte de l'industrie du bien-être, ou avec tout ce qui lui fait perdre son contexte original. Dans un article de 2012 intitulé "Decolonisation is not a metaphor" (La décolonisation n'est pas une métaphore), les professeur·es Eve Tuck et K. Wayne Yang ont souligné que "la décolonisation implique le retour de la terre et de la vie autochtones ; ce n'est pas une métaphore pour décrire d'autres choses que nous voulons faire pour améliorer nos sociétés et nos écoles...
Plutôt que de décolonisation des industries, certains préfèrent parler de démantèlement des systèmes, de décentrement de la blancheur, du validisme et de la négrophobie, ou de réappropriation des pratiques traditionnelles. 
Selon Price, quel que soit le terme utilisé, lorsque l'on participe à des pratiques qui impliquent une appropriation ou une monétisation, il est essentiel de se demander comment nous pouvons réparer ce préjudice. Je pense qu'il est facile de se contenter de se procurer du palo santo éthique, sans pour autant aller plus loin", explique-t-elle. Selon elle, une véritable réparation nécessite de se poser des questions telles que : Comment ai-je profité de mes privilèges ? Comment me suis-je centré·e sur cette pratique ? Comment mon soutien à ces systèmes renforce-t-il l'oppression des communautés marginalisées ou BIPOC (personnes noires, autochtones et de couleur) ? Comment puis-je rendre ce que je propose plus accessible aux mêmes communautés que j'ai peut-être lésées ?
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Il y a des mesures concrètes que vous pouvez prendre pour démanteler l'oppression dans le domaine du bien-être, notamment en vous renseignant sur l'histoire des pratiques auxquelles vous participez et en choisissant avec soin les commerces de bien-être que vous soutenez. Sont-elles la propriété ou sous la direction de personnes appartenant à une communauté BIPOC ? Tentent-elles de répondre aux besoins d'une communauté, ou se concentrent-elles sur certains individus ? Qui est exclu·e de cet espace en raison de son revenu, de ses capacités ou de sa représentation ?
Mais la première étape consiste souvent à se tourner vers l'intérieur. "Pour réparer un préjudice, il faut admettre que l'on en est responsable", explique Snjezana Pruginic, intervenante en justice communautaire et thérapeute en traumatologie qui, avec Price, a cofondé The Well Collective. "Je pense qu'il y a souvent une réticence à accepter que l'on est en réalité responsable d'un préjudice. Et ce que je vois souvent, c'est une personne qui commence à analyser et à s'informer, puis s'arrête dès qu'elle commence à se sentir coupable. Et aucun changement n'est opéré. Cela devient alors un engagement de façade".
"On a vu cela se produire l'été dernier !", ajoute Price. "Tout comme en yoga, vous mettez quelqu'un dans une pose très inconfortable et vous lui dites de tenir la pose et respirer", poursuit-elle. "Parfois, il faut accepter d'être mal à l'aise pour pouvoir se sentir mieux. Se confronter au fait que l'on jouit de privilèges est certes difficile. Et il faut savoir accepter ce malaise."

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