Je me suis toujours méfiée de ce que je considère comme de l'alarmisme technologique. Vous savez, les gros titres qui scandent que nos téléphones sont à l'origine de nos insomnies, qu'ils détériorent notre capacité à créer des liens IRL, qu'ils sapent notre estime de soi et qu'ils sont aussi à l'origine de nos problèmes de peau.
Lorsque le Covid-19 a frappé, je me suis sentie reconnaissante d'avoir accès à toute cette technologie : Google, Slack, Zoom, Twitter, Instagram, Whatsapp, TikTok, Reddit, Libby, YouTube. Ce sont quelques-uns des outils qui m'aident à faire mon travail, à rester en contact avec mes amis, à me détendre avant de me coucher et à faire de l'exercice.
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Puis j'ai assisté en avant-première à la projection de Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma) le nouveau documentaire Netflix sur l'impact caché et extrêmement grave de notre utilisation des réseaux sociaux. Ce n'est pas tant que je me suis sentie coupable de ma dépendance à la technologie, c'est plutôt que ça m'a retourné l'estomac - et j'ai eu peur pour le monde.
Le documentaire, qui sera disponible sur Netflix le 9 septembre prochain, présente les interviews de plusieurs personnes qui ont activement participé à la création des réseaux sociaux. Tristan Harris, président et co-fondateur du Centre for Humane Technology et ancien concepteur éthique de Google, est largement mis en avant. Tout comme les premiers développeurs d'Instagram, de Facebook et de YouTube. Et ils disent tous la même chose : nous avons créé un monstre.
En résumé, le message est le suivant : si nous considérons les réseaux sociaux comme un produit de consommation, le fait est que le produit, c'est nous. Ou, plus précisément, "C'est le changement progressif, léger et imperceptible de votre propre comportement et de votre perception qui est le produit... C'est la seule chose qui leur permet de gagner de l'argent. Changer vos comportements, votre opinion, votre identité", affirme Jaron Lanier, fondateur de VPL Research et "octopus" (Office of the Chief Technology Officer Prime Unifying Scientist) chez Microsoft.
Je sais, je sais - j'ai commencé par dire que je n'étais pas du genre alarmiste. Mais ce documentaire m'a convaincue que les conséquences de notre utilisation des réseaux sociaux sont très graves. C'est le résultat sans précédent et peut-être inattendu de la monétisation des plateformes de réseaux sociaux.
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Les entreprises du secteur technologique utilisent les réseaux sociaux (l'outil) pour attirer notre attention et nos données (une ressource précieuse), qu'elles vendent aux annonceurs. Justin Rosenstein, un entrepreneur qui a co-inventé le bouton "Like" de Facebook, compare cela à l'exploitation du pétrole. C'est mauvais pour la planète. Mais les entreprises en profitent, alors elles le font quand même. Le fait que notre attention soit minée est mauvais pour l'humanité - mais les entreprises en tirent profit, donc elles continuent à le faire.
Le film aborde l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale, soulignant que les taux de suicide et d'automutilation chez les adolescentes ont augmenté pour les générations qui ont commencé à utiliser les réseaux sociaux au collège (à savoir la génération Z). Jonathan Haidt, docteur en psychologie sociale à la Stern School of Business de l'université de New York, estime que cette "génération toute entière" est plus anxieuse, plus fragile et plus déprimée, qu'elle est moins disposée à prendre des risques et encore moins susceptible d'obtenir un permis de conduire ou de faire des rencontres.
Mais ce qui m'a vraiment fait frissonner, c'est le regard que porte Derrière nos écrans de fumée sur le rôle des réseaux sociaux dans la polarisation politique croissante à travers le monde. C'est un sujet auquel je m'intéresse depuis longtemps. Dans l'interview que le fondateur de Buzzfeed, Jonah Peretti, avait accordée au New York Magazine à la fin de l'année dernière, il évoquait comment les algorithmes des réseaux sociaux ont contribué à influencer l'issue des élections présidentielles. Et si la "dynamique" des réseaux sociaux a favorisé Obama en 2008, moins d'une décennie plus tard, elle "a peut-être aussi coûté l'élection présidentielle à Hillary".
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Derrière nos écrans de fumée nous donne une idée beaucoup plus précise de la situation. Les personnes interrogées expliquent comment les réseaux sociaux nous fournissent des informations conçues uniquement pour susciter une réponse émotionnelle de notre part, car c'est ce qui nous incite à rester engagé·es. Cela signifie que nous ne voyons pas les faits ; nous voyons nos propres opinions qui nous sont renvoyées sans cesse, légèrement modifiées pour nous mener à la vidéo ou au post suivant, pour garder notre attention. Et c'est vraiment dangereux.
"Avec le temps, vous avez la fausse impression que tout le monde est d'accord avec vous, parce que tout le monde dans votre flux d'informations vous ressemble", explique Roger McNamee, un investisseur en capital-risque et l'un des premiers à avoir investi dans Facebook. De fait, nous sommes déconcertés par les gens dans la vraie vie qui ne sont pas d'accord avec nous - ne voient-ils pas ce que nous voyons ? Eh bien, non. Ils voient leur propre flux, composé d'articles qui confirment leurs propres préjugés, le tout financé par des annonceurs qui ont leur propre intérêt à l'esprit. C'est un environnement qui peut être facilement manipulé et laisser la désinformation se répandre comme un feu de forêt, explique McNamee.
Et c'est un environnement qui est manipulé par des propagandistes qui utilisent les réseaux sociaux pour faire circuler la désinformation afin d'influencer les élections et l'opinion publique dans le monde entier - notamment aux États-Unis. Les Russes n'ont pas "piraté" Facebook. Ce qu'ils ont fait, c'est utiliser les outils que Facebook a créés pour les annonceurs et les utilisateurs légitimes et les appliquer à des fins malveillantes", explique McNamee.
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"Ce n'est pas que les propagandistes hautement motivés n'aient jamais existé auparavant", note Renée DiResta, responsable de la recherche technique au Stanford Internet Observatory. "C'est que les plateformes permettent aujourd’hui de diffuser des récits manipulateurs avec une facilité déconcertante, et à moindre coût", dit-elle en qualifiant la façon dont les réseaux sociaux sont utilisés par certains comme une "attaque mondiale contre la démocratie".
Vous avez peur ? Eh bien, vous pouvez.
Les experts qui interviennent dans le film s'accordent sur le fait que les réseaux sociaux ne sont pas un mal en soi. Mais ils soulignent également que nous ne pouvons pas continuer ainsi, au risque de nous diriger vers une guerre civile, voire vers l'effondrement complet de la démocratie (pas moins).
"Le but n’est pas de faire de la technologie une menace existentielle", déclare Harris sur ce point. "C'est de montrer la capacité de la technologie à faire ressortir le pire dans la société, et le pire dans la société représente une menace existentielle".
Je ne suis pas entièrement séduite par ce documentaire ; la trame fictive est sur-dramatisée, ce qui peut détourner l'attention. Mais il réussi à mettre en évidence le besoin urgent d'une meilleure réglementation au sein de l'industrie technologique afin d'encourager des pratiques plus responsables et de nous donner plus de contrôle à nous, les utilisateurs.
Une des personnes interrogées, par exemple, suggère d'instaurer une taxe sur leurs actifs de données, afin de créer une désincitation fiscale à accumuler autant de données que possible. Une idée similaire a fait son chemin à la fin de l'année dernière, lorsque le candidat présidentiel américain Andrew Yang a lancé le Data Dividend Project, qui demandait que les utilisateurs soient rémunérés pour leurs données.
À la fin du film, les personnes interrogées dévoilent les précautions qu'elles prennent pour se protéger sur les réseaux sociaux : désactiver les notifications. Ne jamais cliquer sur une vidéo "recommandée" sur YouTube. Utiliser Qwant, un moteur de recherche qui ne sauvegarde pas votre historique, plutôt que Google. Suivre des personnes qui ont des idées différentes des vôtres sur Twitter. Prendre une minute pour fact-checker un article sur lequel vous tombez "par hasard" avant de le partager, surtout s'il suscite une réaction émotionnelle. Ne pas utiliser vos appareils dans votre chambre. Garder les enfants hors des réseaux sociaux jusqu'à l'âge de 16 ans.
Au début du documentaire, j'étais peut-être une fan de tech modérée, mais alors que le générique de fin défilait, j'avais déjà supprimé quatre applications de mon téléphone (Instagram, Twitter, TikTok, Reddit). J'ai aussi décidé d'acheter un vrai appareil photo pour tenter de me sortir de ma dépendance au téléphone. La sonnette d'alarme est tirée, ce n'est pas un exercice.
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