Il y a quelques semaines, je faisais du shopping sur une application d'achat et de ventes de vêtements en ligne quand je suis tombée sur un t-shirt rose vif. Normalement, je n'aurais pas pris la peine de l'acheter. Bien que j'aime une touche de couleur dans ma garde-robe essentiellement noire, le rose a tendance à faire ressortir ma peau blanche comme un fantôme. Mais ce n'est pas la couleur qui a attiré mon attention, c'est le mot griffonné dessus : "Femme" (à lire et comprendre ici "Fem", une identité sociale et sexuelle, et non l'opposé du mot homme) .
En tant que lesbienne qui aime le maquillage, les robes, les crop tops et se boucler les cheveux (même si c'est vraiment fastidieux), je suis en fait la définition même de fem. Ce t-shirt était donc fait pour moi. Mais en même temps, j'étais un peu irritée à l'idée que d'autres personnes le portent. À savoir, les femmes hétérosexuelles. Parce que, au sein de la communauté LGBTQ+, fem est un terme qui peut sembler aussi inhérent à l'identité d'une personne que lesbienne, bisexuelle ou genderqueer. Alors voir ce mot inscrit sur un t-shirt qui a d'abord été vendu dans un magasin grand public et qui s'est ensuite retrouvé sur une appli de ventes de vêtement en ligne était un peu déroutant. Combien de femmes hétérosexuelles ont porté ce t-shirt sans se soucier de l'histoire queer qu'il évoque ?
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Aux États-Unis, les fems font partie de l'histoire queer depuis au moins la fin des années 1940 et le début des années 1950, lorsque des femmes lesbiennes et bisexuelles (en particulier des femmes de la classe ouvrière) ont inventé un terme pour décrire les relations qu'elles formaient : butch-fem. "Les relations butch-fem, telles que je les ai vécues, étaient des déclarations érotiques complexes […] remplies d'un langage profondément lesbien de prises de position, de vêtements, de gestes, d'amour, de courage et d'autonomie", écrit Joan Nestle, fondatrice des Lesbian Herstory Archives, dans son essai Butch-Femme Relationships and Sexual Courage in the 1950's. Alors que de nombreuses personnes s'opposaient à l'époque (et s'opposent encore parfois) aux relations butch-fem, les considérant comme des tentatives d'imitation des relations hétérosexuelles, Nestle a affirmé que les couples butch-fem terrifiaient les autres lesbiennes parce qu'ils ne voulaient pas se cacher. Contrairement aux lesbiennes qui pouvaient passer pour des hétéros, les couples butch-fem rendaient les femmes queer visibles. "Dans les années 50, ce courage de se sentir à l'aise avec le fait d'exciter une autre femme est devenu un acte politique", écrit-elle.
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La féminité pour les femmes lesbiennes dans les relations butch-fem n'était pas seulement un look, c'était la promesse qu'elles ne se plieraient pas aux attentes des autres.
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Les couples butch-fem ont continué à être des aberrations dans la communauté LGBTQ+ dans les années 70 et 80, alors que les féministes lesbiennes de l'époque favorisaient un look androgyne libéré des attentes liées au genre, écrit Amy Goodloe, ancienne professeure d'études sur les femmes et le genre à l'université du Colorado. Tout comme ils ont défié les attentes de la société hétérosexuelle, les couples butch-fem de l'époque ont ignoré les "règles" de la culture lesbienne, qui prétendait que l'on ne pouvait pas être féministe et avoir une relation butch-fem. Ainsi, la féminité pour les femmes lesbiennes dans ce type de relations n'était pas seulement un look, c'était la promesse qu'elles ne se plieraient pas aux attentes des autres.
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Plus tard, les identités butch et fem ont commencé à exister séparément, et les couples butch-fem ne sont plus considérés comme une évidence (les femmes fems se fréquentent parfois, tout comme les femmes butchs). Si, par le passé, les fems étaient définies par leurs butchs, "fem" est aujourd'hui un terme auquel de nombreuses personnes queer s'identifient, quelle que soit la relation qu'elles entretiennent. Pourtant, il s'agit toujours d'un mot distinctement queer. "Fems. Nous vivons dans des endroits différents. Nous avons des âges différents. Nous avons des identités de genre différentes. Certaines d'entre nous sont des personnes racisées, d'autres sont blanches… La seule chose que nous avons en commun est que nous sommes queer", a écrit Cecelia pour Autostraddle en 2016. Bien sûr, le sens a un peu changé. Certaines des personnes qui décrivent leurs expériences fems dans la table ronde d'Autostraddle sont des femmes trans, certaines sont non-binaires et d'autres sont bisexuelles. Et cela énerve certaines personnes lesbiennes. Certains groupes de lesbiennes ne sont pas très heureux que le mot se soit étendu à d'autres identités de genre et à d'autres sexualités (y compris les hommes gays). Mais il est indéniable qu'un grand nombre de personnes queer et non-conformes au genre s'identifient désormais comme fem.
Faut-il donc s'inquiéter du fait que les femmes hétérosexuelles se reconnaissent parfois dans ce mot ? Lorsque le mot "fem" ou "femme" s'affiche dans les allées de Forever21 et Urban Outfitters, je comprends tout à fait qu'il puisse sembler être un slogan féministe du type "girl power" que toute femme ou personne identifiée comme féminine peut revendiquer. Mais de nombreuses personnes queer ont le sentiment que les femmes hétérosexuelles ont coopté le terme "fem", et pas seulement sur les t-shirts. Comme pour toute autre forme d'appropriation culturelle, c'est un problème car il y a une dynamique de pouvoir en jeu : lorsque les femmes hétérosexuelles se déclarent "fem", elles diluent le lien entre le mot et l'histoire queer. Et ce ne serait pas la première fois.
De plus, les personnes hétérosexuelles ont nié et ignoré nos droits et notre humanité pendant si longtemps (vous vous souvenez de l'époque où nous ne pouvions pas nous marier ou nous sentir en sécurité dans la rue ?), que le moins qu'elles puissent faire est de laisser nos mots tranquilles. Peut-être que les femmes hétéro qui choisissent d'acheter ce t-shirt rose vif font une déclaration de résistance similaire à celle des femmes lesbiennes des années 50. Peut-être ont-elles besoin d'une façon simple et audacieuse d'affirmer leur défiance. Mais même si je pense que "sharing is caring", je souhaiterais qu'elles trouvent un autre mot pour cela.