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Histoire d’un tabou : comment apprendre à bien faire caca

Illustration par Xinyue Song
Tout le monde a sa petite histoire à raconter sur un truc horrible qui nous est arrivé aux toilettes (ou à proximité). Les toilettes publiques en plastique absolument répugnantes lors d'un festival de crème glacée ; pile au moment où vous réalisez que vous êtes intolérant·e au lactose. Les WC d'un arrêt de bus en Colombie, où il n'y a pas de papier toilette et dont vous devez maintenir la porte fermée avec votre pied. Les toilettes turques au sol glissant avec un rideau en guise de porte d'un restaurant en vacances. L'énorme moment de solitude dans les WC de la maison familiale d'un nouveau mec, quand sa mère vous crie à travers la porte : "La chasse d'eau ne fonctionne pas, chérie, mais ne t'en fais pas !" Enfin, vous voyez le topo : juste des situations hypothétiques qui ne me sont pas du tout arrivées.
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Et puis il y a cette histoire de 2017, celle d'une étudiante de Bristol qui n'arrivait pas à tirer la chasse d'eau des toilettes de la maison de son date Tinder et qui a donc essayé de se débarrasser de sa grosse commission dans le jardin, mais s'est loupée et s'est retrouvée coincée en essayant de récupérer la chose, qui s'était glissée entre deux vitres. Le jeune homme, en toute galanterie a immortalisé le moment où les pompiers brisaient la vitre pour la libérer, et l'histoire est devenue virale.
Le lieu et la façon dont vous vous soulagez peut avoir un impact sur le reste de votre journée : une mauvaise expérience peut vous dégoûter pendant des heures ou, dans le cas des toilettes de l'arrêt de bus, des jours. Les femmes sont touchées de manière disproportionnée par l'apopathophobie (ou la peur de faire caca), explique le Dr Anton Emmanuel, professeur de neuro-gastro-entérologie à l'University College de Londres. "Il est intéressant de noter que des données provenant d'autres pays et d'autres cultures indiquent que les hommes sont aussi affectés que les femmes par cette phobie, mais dans la culture occidentale, si l'on considère les personnes qui se présentent chez les médecins, c'est beaucoup plus un problème féminin que masculin. Certaines personnes ont une véritable phobie des toilettes et sont terrifiées à l'idée de faire du bruit dans les toilettes publiques ou [dans les toilettes du bureau, en présence] de leurs collègues".
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Tout ça pour dire que le simple fait de faire caca est souvent entouré de beaucoup d'émotions négatives. Pourquoi, alors, ne parle-t-on pas davantage des bonnes façons de faire caca, le genre d'expérience qui procure bien-être et satisfaction ?
Tou·te·s les expert·e·s avec lesquel·le·s je me suis entretenue s'accordent à dire que la position joue un rôle très important dans la façon dont vous faites caca et qu'il y a de fortes chances pour que vous vous y preniez mal. "C'est un sujet controversé", prévient le Dr Lisa Das, gastro-entérologue consultante chez One Welbeck Digestive Health et à la London Clinic, lors de notre entretien. "La position "accroupie" est couramment pratiquée au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie, et des études ont montré qu'elle améliore l'angle du canal anorectal, réduit la tension au niveau des selles, augmente la sensation de vidange intestinale complète et diminue le temps passé aux toilettes par rapport à la position assise. Cette position permet aux genoux de se placer plus haut que les hanches, formant ainsi un angle de près de 45 degrés avec les genoux.
L'adoption par les pays occidentaux des toilettes à siège signifie que nous utilisons la "position assise" dans laquelle les genoux et les hanches forment un angle de 90 degrés". Il est intéressant de noter qu'en conséquence, un quart de la population occidentale "en bonne santé" souffre de "troubles gastro-intestinaux".
Il existe un moyen assez simple de résoudre ce problème, et vous avez probablement déjà vu les mèmes qui circulent à ce sujet. Le Squatty Potty - essentiellement un petit tabouret en plastique qui enserre la base des toilettes - permet de placer les genoux dans le bon angle, coûte 29,95 € et a été inventé en 2010 par Judy Edwards. Après que le tabouret (en plastique) soit apparu dans l'émission de télé-réalité américaine Shark Tank en 2015, il a rapporté 1 million de dollars (854 000 euros) du jour au lendemain et environ 33 millions de dollars (28,2 millions d'euros) depuis. Parmi les fans, on compte Howard Stern, Bryan Cranston et Sally Field de Breaking Bad. Une publicité datant de 2015 - où l'on voit une licorne défèquer une glace arc-en-ciel, qui est ensuite servie à des enfants - a été vue 38 millions de fois sur YouTube.
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"L'utilisation d'un Squatty Potty ne peut être que bénéfique et permet de faire vos besoins beaucoup plus rapidement et facilement", explique Judy à R29. "Mais la santé intestinale est également un élément à prendre en considération. Je prends chaque jour des probiotiques très efficaces qui, combinés au Squatty Potty, ont fait une grande différence dans ma vie. Si vos intestins sont en bonne santé, ils auront tendance à suivre un emploi du temps quotidien assez régulier et ça peut servir. Mais je trouve toujours difficile de faire caca chez quelqu'un ou dans des toilettes publiques - je ne suis pas sûre que cela changera un jour pour moi".
Si vous êtes gêné·e à l'idée d'utiliser les toilettes du bureau, ou si vous voulez éviter les toilettes publiques, vous pouvez apprendre à votre corps à "aller à la selle" à un moment précis de la journée, affirme le professeur Emmanuel. "Votre transit intestinal est une question d'habitude", dit-il. "En général, les contractions les plus naturelles se produisent au réveil et après un repas. Lorsque vous vous réveillez le matin et que vous buvez un café, ça peut aider à faire avancer les choses. Faites les cent pas, prenez un café noir - tout ce qui marche pour vous - et plus vous le ferez régulièrement, plus votre corps va s'adapter à ce rythme".
La clé est d'adopter une routine régulière - comme on dit, personne n'aime les surprises. "Des recherches ont montré que les personnes qui souffrent de constipation présentent des troubles psychologiques plus importants, tels que l'anxiété et la dépression, par rapport à celles qui ont des habitudes de transit saines", explique Carey Boothe, hydrothérapeute du côlon et nutritionniste à Feel Good Balham. "Un lien a été établi entre l'humeur et la composition du microbiome dans l'intestin. Si vos intestins sont malheureux, il est probable que cela affecte votre bien-être général, à la fois physiquement et mentalement. La sérotonine est un neurotransmetteur cérébral bien connu et on estime que 90 % de la sérotonine du corps est produite dans l'appareil digestif. De plus en plus d'études montrent que certaines bactéries présentes dans l'intestin jouent un rôle important dans la production de ce neurotransmetteur".
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Nous n'avons pas toujours été aussi discret·es que nous le sommes aujourd'hui en ce qui concerne nos habitudes sanitaires. Les Romains considéraient les latrines, ces toilettes communes en plein air, comme un événement social ; un lieu où l'on faisait des affaires, échangeait des nouvelles, retrouvait des ami·e·s - un peu comme on le faisait dans les toilettes d'une boîte de nuit avant la pandémie, mais avec moins de gloss et plus de caca.
À l'époque de la Renaissance, on trouvait les pots dans toutes les pièces de la maison ; on s'accroupissait et on faisait ses besoins avant de les jeter dans la rue. Ou, si vous étiez noble, vous alliez "à la garde-robe" : un siège percé, placé au-dessus de tuyaux menant à une rivière. En 1834, un an après une grande épidémie de choléra, le préfet Rambuteau, prédécesseur d'Haussmann, décide d'appliquer les théories hygiénistes très en vogue à l'époque et installe dans les rues de Paris, les premiers urinoirs publics (pour hommes). Il les nomme "vespasiennes", en référence à l'empereur romain Vespasien, créateur d'une taxe sur l'urine. Il faudra attendre 1902 pour voir les premiers toilettes ouverts aux deux sexe : les "chalets de nécessité". Avec eux, les femmes ont enfin la possibilité de faire leurs besoins dans les lieux publics. Mais ces lieux restent l'apanage des personnes privilégiées, en raison de leur prix.
Et c'est en partie à ce contexte ultra-hygiéniste que l'on doit le tabou persistant autour du caca. Comme l'indiquait la maîtresse de conférences honoraire à l'Institut de psychologie de l'Université de Lyon à Slate, "le rapport aux excréments résonne avec des valeurs et idéologies centrales de notre modernité, comme l'hygiénisme à outrance, la hantise de la souillure du corps, la phobie des toxines et saletés en tous genres". Et ces idéologies sont appliquées encore plus strictement aux femmes. Dans nos sociétés patriarcales, la femme est synonyme de "pureté". Une fille convenable doit donc savoir se tenir et être très "propre sur elle".
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"De nos jours, les femmes sont largement conditionnées à croire que les fonctions corporelles doivent rester privées, et que la perte de contrôle est honteuse", indique le Dr Das. "Notre genre est intimement lié à la façon dont nous percevons nos excréments. Les femmes ont davantage tendance à être "dégoûtées" par les déjections corporelles, davantage soucieuses de dissimuler les odeurs et les bruits des toilettes lorsqu'elles s'y rendent, et davantage susceptibles de se laver les mains après que les hommes. En outre, le sentiment d'intimité est particulièrement important pour les femmes. Certaines femmes ne se sentent à l'aise que chez elles, tandis que d'autres se contentent d'éviter activement les toilettes publiques".
Ce qui nous amène au dernier point, très important pour une expérience optimale au petit coin : l'environnement. Nous sommes tout·e·s entré·e·s dans des toilettes à l’ambiance plus que douteuse (tous les WC de train par exemple) et avons conclu qu'on pouvait bien se retenir encore un peu. Selon une enquête menée auprès de mes amis via WhatsApp - donc, oui, extrêmement scientifique - un environnement approprié dans les toilettes se résume à trois choses : la familiarité (une amie a refusé d'utiliser les toilettes de son collège et pendant ses sept ans de scolarité, n'a jamais fait ailleurs que chez elle), la sécurité (dédicace à tou·te·s mes ami·e·s qui en ont profité pour me dire de mettre un verrou à la porte de ma salle de bains. C'est un petit studio, les gens ! Si je ne peux pas vous voir, c'est que vous êtes aux toilettes !) et la ventilation pour éliminer la honte liée à l'odeur. Comme le dit une amie avisée : "En dehors de chez vous, l'idéal reste un de ces toilettes séparé qui est équipé d'une fenêtre. Le pire est une pièce intermédiaire avec des gens qui attendent dehors". Une amie m'a avoué qu'elle craignait tellement les toilettes de son bureau qu'elle retournait à son appartement dans le quartier pour se soulager. C'est un peu extrême, mais il y a pire : quand elle a déménagé, elle a gardé une clé et se faufilait dans l'appartement pendant les heures de travail. Vous imaginez à quel point ça devait être tendu ? Faire ça en priant pour que les nouveaux locataires ne rentrent pas plus tôt pour trouver une parfaite inconnue utilisant leur toilettes façon Boucles d'or gore ? (Elle aimerait souligner qu'elle prenait soin de bien "désinfecter à chaque passage", juste au cas où ça serait la partie de l'histoire qui vous pose problème).
Pour récapituler : bien que tout le monde soit différent, l'expérience parfaite aux WC se résume essentiellement à cinq choses : une position accroupie, une bonne santé intestinale, une fenêtre, le sentiment d'avoir le contrôle, et un verrou sur la porte. Un verrou dont vous seul·e avez la clé de préférence.

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