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“Handicapé·e” : pourquoi je veux qu’on le dise sans honte

En France, près d'une personne sur cinq vit en situation de handicap, mais on ne s'en douterait pas vu le manque de représentation dans la population active, au cinéma et dans les médias. Notre série Voices of Disability célèbre les expériences authentiques de cette communauté dynamique et vivante composée d'individus uniques - et non les stigmates ou les stéréotypes.
Je suis née et j'ai grandi dans l'État du New Jersey, aux États-Unis. "Stupid" et "crazy" étaient deux de mes mots préférés. Par exemple, je rêvais de vivre dans un manoir de fou sur la côte. Je réalise maintenant que ces deux mots sont "validistes", et j'ai choisi de les rayer de mon vocabulaire.
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Image description: A quote that reads, u0022My cerebral palsy is not my date to the party.u0022
On parle de validisme lorsque une personne est déshumanisée ou discriminée en raison de son handicap, ou lorsque le handicap est stigmatisé, stéréotypé ou infantilisé. Le langage validiste utilise des termes associés au handicap pour se moquer, insulter ou critiquer, que ce soit la météo ou une personnalité politique. Le terme "stupide" est souvent utilisé avec légèreté pour parler de mauvaises décisions, se réprimander pour une erreur ou humilier quelqu'un pour son manque d'intelligence. Le terme "stupide" est également utilisé pour désigner les personnes souffrant de déficiences intellectuelles, de troubles des apprentissages et de neurodivergence. Bien qu'il puisse être utilisé sans intention péjorative, le mot lui-même est douloureux pour celles et ceux contre qui il a été si souvent utilisé. Le mot "fou" est une insulte générale qui couvre tous les problèmes de santé mentale, qu'ils soient traités ou non. C'est également le mot préféré des misogynes qui cherchent à faire taire les femmes qui osent contester leur pouvoir. Le mot "fou" est utilisé pour excuser le racisme, la violence et une multitude d'autres comportements répréhensibles. Comme le mot "stupide", il peut être utilisé pour décrire quelque chose de cool, mais le choix du mot reste déplacé car il fait abstraction de problèmes de santé réels et handicapants. Je me suis fixée comme objectif d'éviter le langage validiste dans ma comédie et dans mes écrits. Je n'y arrive pas toujours, mais quand je fais une erreur, j'essaye d'en tirer des leçons. Mon glossaire des mots à éviter s'allonge de jour en jour.
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PHoto: Astrid Stawiarz/Getty Images and Leigh Vogel/Getty Images.
Image description: Maysoon Zayid sits in front of a microphone wearing a green dress with pale pink polka dots while performing comedy. Her name, Maysoon Zayid, appears in black text below her.
J'ai également supprimé les euphémismes de mon dictionnaire. Les termes comme "autrement capable" et "besoins spéciaux" n'ont pas leur place dans notre vocabulaire. Ils sont infantilisants. Nos besoins ne sont pas spéciaux. Ce sont des aménagements nécessaires qui sauvent des vies. Il est temps que la société abandonne les alternatives "politiquement correctes" et se contente de dire le mot "handicapé", de le dire haut et fort. Le débat sur l'utilisation du langage de la personne d'abord (personne en situation de handicap) ou de l'identité d'abord (handicapé·e ou personne handicapée) pour décrire la communauté des handicapés est complexe. Ceux qui préfèrent la langue personne d'abord avancent que ce langage nous humanise en rappelant aux gens que nous sommes d'abord des personnes. Le camp de l'identité d'abord estime que le handicap fait partie intégrante de notre identité et ne devrait pas passer au second plan. Le langage de la personne d'abord est actuellement le langage standard, et je pense que ça ne devrait pas être le cas. Ma paralysie cérébrale n'est pas un "rencard à une soirée". Je ne peux pas simplement m'en débarrasser. C'est pourquoi je me décris comme une diva handicapée, pas une diva en situation de handicap. Certaines personnes dans la communauté préfèrent parler de "personnes en situation de handicap". C'est leur choix, et personne n’a le droit de le remettre en question.
Une parfaite illustration du mal causé par le "validisme" est la conversation autour de l'occupant actuel de la Maison Blanche. L'une des plus tristement célèbres offenses de Donald Trump a été d'imiter la spasticité du journaliste du New York Times Serge Kovaleski. Il a également exploité sans pitié le bégaiement de Joe Biden en le présentant comme une forme de démence. Lorsque #WaterGait et #ShufflesTheClown ont commencé à prendre de l'ampleur dans le monde entier à la suite d'un discours prononcé à West Point par Trump, la Twittosphère a excusé sa propre utililisation d'un langage validiste en affirmant que c'était une question de karma. Ceux qui l'ont rejoint ont insisté sur le fait que Trump avait si souvent ridiculisé les capacités des autres qu'il méritait d'être logé à la même enseigne. Pourtant, le validisme n'affecte pas seulement la personne visée. Se moquer de Trump parce qu'il n'arrivait pas à tenir un verre d'eau d'une main et qu'il a trébuché sur une rampe d'accès est une attaque contre toute personne handicapée souffrant de problèmes de motricité. Les hashtags validistes ne font que détourner l'attention de son administration qui cherche à dépouiller les Américains présentant des pathologies préexistantes de leur accès aux soins. 
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La santé mentale, les capacités intellectuelles et les prouesses physiques de Trump ont été questionnées et ridiculisées. Je suis ici pour vous dire une chose : c'est épuisant pour la communauté des personnes handicapés. Diagnostiquer une personne que vous n'avez jamais rencontrée alors que vous n'êtes même pas médecin est en soi une attitude validiste. Faire de la santé mentale de Trump une excuse pour ses lamentables échecs revient à légitimer son choix d'être raciste et misogyne. Pour autant que le monde sache, Donald Trump ne souffre pas de déficience intellectuelle. Il commet des actes horribles parce qu'il décide consciament de le faire, et non parce qu'il n'a pas les capacités de faire autrement. Le qualifier d'idiot ou de crétin revient à dépeindre injustement les personnes atteintes de déficience intellectuelle ou de neurodivergence comme étant dangereuses alors qu'en réalité, elles sont confrontées à plus de violence que les personnes non handicapées. 
Il est également temps d'arrêter les plaisanteries sur l'incontinence. Il n'y a pas de honte à porter une protection d'incontinence, et ce n'est pas ce qui empêche une personne d'être un bon leader. Les mèmes qui se moquent du poids de Trump sont aussi une forme de validisme. Le voir dans un smoking mal ajusté, juxtaposé à Danny DeVito dans le rôle du Pingouin dans Batman, rappelle aux personnes enrobées comme moi, à celles qui souffrent de troubles alimentaires et à celles dont l'état de santé entraîne une prise de poids, que leurs concitoyens considèrent cela comme étant pire que la gestion catastrophique de la crise du Covid par Trump. C'est une attitude validiste et inexcusable. Le handicap ne devrait jamais être utilisé pour rabaisser même les plus déplorables d'entre nous.
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Photo: Courtesy of Maysoon Zayid.
Image description: Comedian Maysoon Zayid stands in front of a microphone wearing a satin blue dress with bright orange flowers as she performs stand-up comedy.
Je suis humoriste. J'ai été bercée à l'humour de Richard Pryor, George Carlin et Andrew Dice Clay. Ces personnalités légendaires ont un language très coloré. Quand je suis devenue humoriste, je me suis inspirée de mes idoles. À mon tout premier open mic, j'ai "slut-shamé" la Vierge Marie. Mes routines étaient truffées de langage violent que je trouvais drôle. Je n'ai réalisé que j'avais tort que très tard dans ma carrière. 
Les blagues pédophiles étaient ma spécialité jusqu'à ce qu'un soir, après un spectacle, une femme me confronte. Elle m'a dit qu'elle passait un bon moment jusqu'à ce qu'une blague lui rappelle son souvenir le plus sombre et le plus violent. Cette critique m'a changée. J'ai alors choisi de purger ma comédie de toute sa haine, non pas parce que le gouvernement me censurait ou parce que je craignais de devenir la prochaine cible de la "cancel culture", mais parce que mon travail consiste à faire rire les gens. En utilisant des mots qui réveillent des traumatismes chez mon public, je fais le contraire. Au lieu de sacrifier quelques personnes pour faire rire le plus grand nombre, j'ai décidé de rendre mes spectacles plus inclusifs. Cela signifiait se débarrasser de toutes les rhétoriques haineuses, y compris le validisme. Tout comme le racisme, le sectarisme, la misogynie et le langage anti-LGBTQ+, le validiste n'est jamais acceptable, mais le contexte joue un rôle important. On m'a souvent traitée d'"atardée". Si je raconte une histoire sur le moment où ce juron m'a violemment été balancé, alors je peux le prononcer. En dehors de ces blagues spécifiques, je refuse d'utiliser ce mot. Même si je suis handicapée, utiliser ce terme péjoratif permet d'alimenter la culture du validisme.
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Je veux que mon public s'éclate, et non pas qu'il soit blessé par mes mots. Blesser quelqu'un n'est jamais drôle. La liberté d'expression protège le droit à utiliser un discours validiste. On ne peut pas emprisonner un humoriste ou tout autre citoyen pour avoir été offensant. Mais si un public décide de boycotter un spectacle qu'il trouve plus toxique que drôle, rien ne l'en empêche. Ce n'est pas parce que la loi vous autorise à être horrible que vous devez l'être ou qu'il n'y aura pas de conséquences à répandre votre venin. Les mots ont de l'importance. Alors, s'il vous plait, efforcez-vous de mieux faire.
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Notre série Voices of Disability est éditée par Kelly Dawson, une militante pour les droits des personnes handicapées née avec une infirmité motrice cérébrale. Elle a évoqué son handicap sur le très populaire podcast Call Your Girlfriend, et a écrit sur le sujet pour Vox, AFAR, Gay Mag, et bien d'autres médias. Retrouvez son travail sur kellymdawson.com.
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