Elle avait 32 ans et ressemblait à toutes les autres femmes qui m’avaient brisé le coeur. Je le sais parce que quand ma pote Olivia nous a rejointes devant un bar animé de Brooklyn, elle s'est penchée vers moi en riant alors que mon date faisait la queue pour les toilettes et m'a dit "Elle ressemble à toutes les meufs qui t'ont brisé le coeur."
Certes, on avait bu quelques Moscow mules. Mais ça n'en était pas moins vrai. Tout le monde à notre table a ri, et j'ai acquiescé. Elle avait effectivement le profil : androgyne, les cheveux bruns coupés à la garçonne et les yeux noisette, par moments verts, elle portait une chemise légèrement transparente qui laissait entrevoir ses tétons et une veste en cuir noir. Son odeur était exactement à son image : enivrant. Quand je lui ai demandé ce qu'elle portait, elle a répondu que c'était son eau de Cologne préférée, appelée Book.
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Pour notre premier rendez-vous, je suis arrivée en avance et j'ai pris une table. Les murs étaient recouverts de rideaux d'un magenta profond. Nichée dans cet espace sombre, à l'abri de l'air encore frais de Brooklyn, notre table en marbre était carrée et un peu trop grande pour deux personnes.
Quand je l'ai vue entrer, je l'ai tout de suite senti : je savais qu’on allait coucher ensemble.
Très tôt dans mon expérience de coming-out, j'ai compris que cette affirmation avait le pouvoir d'étonner les autres. La société a tendance à définir le sexe comme une chose : un acte hétéro-normatif qui implique la pénétration. À moins que vous ne regardiez The L Word, il y a de fortes chances que le sexe soit dépeint comme un acte cisgenre, un pénis inséré dans un vagin. Il n'y a aucune place pour autre chose. Même en effectuant une recherche rapide sur Google avec le terme "Queer Sex", un article apparaît en première page, ce qui ne fait que perpétuer cette idée : "Le sexe entre deux femmes est-il vraiment du sexe ?"
Qu'est-ce que le "vrai sexe", au juste ? Glennon Doyle, l'autrice à succès de Untamed, a abordé ce sujet dans son podcast We Can Do Hard Things, dans un épisode intitulé "Silent Sex Queen" : Pourquoi ne parle-t-on pas plus de sexe ?" Doyle évoque ses expériences sexuelles avant de faire son coming-out en tant que personne queer, décrivant chacune d'entre elles comme ce que le monde appelle le sexe. Pour le monde, le sexe est la pénétration et l'éjaculation masculine.
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Toutefois, lorsqu'elle parle de sa première expérience sexuelle lesbienne, Doyle explique que pour la première fois, elle ne jouait pas la comédie. Je ne récitais pas le script imposé aux femmes par la culture pornographique, je ne cambrais pas mon dos comme les femmes sont censées le faire, je ne jouais pas un rôle. J'étais juste présente, répondant comme mon corps et mes émotions me dictaient de le faire." Et ça, ça a tout du "vrai sexe" pour moi.
De l'autre côté de cette grande table en marbre, lors de notre premier rendez-vous, mon date m'a posé des questions, je lui en ai posé d'autres, puis ce fut son tour à nouveau. J'ai appris des choses sur son enfance et elle sur la mienne. Elle m'a parlé de ses grands-parents, de l'évolution de son identité queer et du fait qu'elle préfère le mezcal à tout autre alcool. J'ai appris qu'elle écrivait un livre de poésie érotique. J'ai observé la façon dont sa bouche bougeait lorsqu'elle souriait largement, ou dont ses lèvres se pressaient légèrement lorsqu'elle disait quelque chose de sérieux.
On a bu des cocktails de mezcal et de tequila pendant que j'admirais le contraste de sa peau pâle contre son t-shirt blanc. Je me suis senti rougir en imaginant ce que ça ferait de l'embrasser dans le cou. J'ai écouté son rire et je me suis mordu la lèvre inférieure. Rien que son parfum m'a fait mouiller. Quelque temps après avoir commandé la deuxième tournée, mes prévisions sur la façon dont la soirée allait se dérouler ont été confirmées. Elle s'est penchée vers moi et m'a dit : "Si cette table était un peu plus petite, je t'embrasserais là, tout de suite."
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Quand je me suis réveillée le lendemain matin, mes draps taupe portaient son odeur. Elle était dos à moi, la peau encore rougie par l'heure qui venait de passer. On l'a fait sur le lit les dernières heures, sur le canapé quelques heures avant, et sur le comptoir de la cuisine quelque part entre les deux. On a fait de chaque centimètre de mon appartement notre terrain de jeu. J'ai embrassé son cou à nouveau, puis son bras gauche, en passant mes mains dans ses cheveux bruns et courts. Elle a ouvert les yeux lentement, étourdie par le manque de sommeil. "Encore ?" a-t-elle demandé.
Allongé dans notre odeur, j'ai posé ma tête sur sa poitrine et j'ai inspiré. J'ai senti mes cils battre contre elle et elle a fait glisser sa main plus bas. Encore une fois. Puis, on s'est reposées. J'ai allumé ma lampe de chevet en sel qui a baigné la pièce d'une faible lumière orangée. Je pouvais mieux la voir maintenant. Je pouvais la regarder dans les yeux. Elle était là, dans mon lit, comme si c'était sa place. Nos lèvres se sont touchées et nous nous sommes embrassés langoureusement, en nous tenant et en nous accrochant, tandis que je glissais ma jambe entre les siennes pour l'entendre gémir.
Oui, nous avons fait l'amour. Il n'y avait pas de pénis, pas d'éjaculation masculine. Mais c'était quand même tout ce qu'il y a de plus vrai.
Au cours des quelques années d'exploration de mon identité bisexuelle, j'ai été confrontée aux nombreuses idées que les autres se font de la sexualité entre personnes du même sexe. Des connaissances m'ont dit en passant : "En vrai, le sexe avec une autre femme, ce n'est pas vraiment du sexe " ou "Au moins tu n'as pas à avoir peur d’avoir couché avec trop d'hommes".
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Au début, quand j'ai commencé à sortir avec des femmes, j'étais impatiente de partager mes expériences avec mes amies. Ma première fois avec une autre femme a été l'un des moments les plus libérateurs, sexy et enflammés que j'aie jamais vécus dans ma vie. J'avais déjà parlé de cul avec mes amies, comme le font souvent les femmes avec leurs partenaires masculins hétéros. Mais cette fois, lorsque j'ai essayé de partager mes sentiments, j'ai trouvé que mes mots tombaient à plat devant l'indifférence et le jugement sur leurs visages.
D'autres amis queer m'ont dit que leurs expériences sexuelles avaient été invalidées de la même manière, comme si elles étaient moins importantes, car différentes. Cela m'attriste, comme si cette partie de moi était moins légitime d'une certaine manière, comme si j'étais exclue de la discussion à moins que je ne parle de sexe avec des hommes. J'avais l'impression d'être une outsider.
Quelques jours après notre premier rendez-vous, ma nouvelle conquête et moi nous sommes assises aux deux extrémités de mon canapé West Elm et avons bu de la vodka infusée au concombre et de la Pellegrino. Elle m'a lu la poésie sex-positive qu'elle avait écrite, et je lui ai lu un morceau du mémoire sur lequel je travaille. Je l'ai regardée lire et je me suis demandé si elle le sentait : la façon dont on se faisait l'amour avec nos mots, des mots qui laissent entrer l'autre comme des doigts mouillés, une atmosphère chargée et des strap-ons.
Il n'a pas fallu longtemps pour que je me retrouve à califourchon sur elle à l'autre bout du canapé. Elle a mis sa tête en arrière et m'a regardé, sous un poster de Stevie Nicks et des images de corps dessinés à la main. Sa peau était déjà rougie, ses yeux doux et ses lèvres légèrement entrouvertes. Elle avait l'air sûre d'elle - comme quelqu'un qui sait exactement ce qu'il veut - comme quelqu'un qui sait qu'il va l'obtenir. La langue, puis les langues. Mon doigt, mes doigts, puis ma main dans sa bouche. Elle a enlevé ses lunettes, les a écartées avant de presser mon bassin vers le sien. Ses mains étaient plantées sur mes hanches pour que je ne puisse pas bouger, tandis qu'elle ouvrait ma chemise boutonnée avec ses dents.
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Cela m'a donné envie de monter sur mon toit et de crier au monde entier que oui, le sexe queer est vraiment sexe, et qu'il est tout aussi légitime que l'expérience hétérosexuelle. Il se présente sous toutes les formes, toutes les tailles et tous les aspects. Il n'y a pas de taille unique.
Même avant cette relation, je savais que le sexe queer était parfaitement légitime et qu'il est tout aussi important d'en parler que des expériences hétérosexuelles. Mais je n'avais encore jamais été avec quelqu'un qui n'avait pas peur d'explorer la sexualité sous toutes ses formes. Un soir, je lui ai envoyé un message pour lui demander ce qu'elle pensait des sex-toys et si elle voulait essayer avec moi. Elle m'a expliqué qu'elle avait eu des expériences mitigées dans le passé, mais qu'elle était ouverte à l'idée, parce que chaque personne et chaque situation sont uniques. Puis elle a envoyé une photo d'elle, seins nus. Son corps élancé se tenait devant un miroir, vêtu uniquement d'un caleçon noir, sa main droite à l'intérieur. Ses cheveux étaient parfaitement coiffés et l'expression de son visage laissait entrevoir à quel point elle me désirait. Devant, derrière, penchée en avant, à plat sur le dos, le visage enfoncé dans l'oreiller, ouverte en grand, agrippée, hard, soft, mouillée.
Quelques semaines plus tard, nous avons fêté son anniversaire ensemble, un peu en avance. Après le dîner et un verre, chez moi, elle m'a demandé si je voulais lui montrer ma collection de sex-toys. J'ai souri et j'ai pris une boîte dans ma table de nuit, que j'ai posée sur le lit. Je me suis sentie en confiance en la regardant toucher chacun d'eux et en l'écoutant me demander lequel je préférais. Elle les tenait dans ses mains, des gros et des moins gros. "Celui-ci est mon préféré", lui ai-je indiqué. Quand elle m'a demandé pourquoi il me plaisait, j'ai énuméré toutes les raisons et je me suis senti rougir. Elle s'est penchée en avant et m'a embrassé, mordant ma lèvre en se retirant, et m'a dit de ne pas bouger.
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Je me suis exécutée. Je l'ai regardée choisir mon préféré. Elle bougeait délicatement, lentement, ses gestes étaient réfléchis. Les hanches, les cheveux et les langues. Mon corps me suppliait de la laisser entrer en moi. Elle me touchait, se touchait elle-même. Dans la lumière orangée de ma chambre, nos corps se sont fondus, ont dérivé et se sont retrouvés. En glissant mon sex-toy favori en moi, c'était comme si elle y était elle-même. Puis les doigts, puis les langues, puis les jambes, et une collision de nous. C'était un va-et-vient, comme si elle m'emplissait et me vidait encore et encore, pour me rappeler que le sexe peut être tout ce que l'on désire, si on se laisse faire.
Ma relation avec cette fille a finalement été de courte durée ; on avait des envies et des besoins très différents. Mais mon expérience avec elle a changé non seulement les relations que j'ai eues par la suite avec d'autres partenaires, mais aussi la relation que j'entretiens avec moi-même.
C'est l'une des choses que je préfère chez elle : elle n'avait pas peur de parler franchement de sexe et de ce que cela signifiait pour elle, avant et après son coming-out. Pour certaines personnes, la capacité de parler ouvertement de leur vie sexuelle et de la considérer comme légitime peut sembler normale, voire évidente. Mais ça n'a pas toujours été le cas pour moi. Avant de sortir avec elle, j'avais du mal à partager en toute confiance mon orientation sexuelle, de peur que les gens ne se mettent à remettre en question ma bisexualité ou à mettre mes expériences dans une case.
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Sortir avec une personne aussi fière de son identité queer m'a permis d'être beaucoup plus ouverte sur la façon dont j'aborde mes propres désirs en tant que femme queer, et sur la façon dont je peux les exprimer, intérieurement et extérieurement. Aujourd'hui, je me sens plus à même d’assumer ce que ma sexualité signifie pour moi, ce que je veux et ce que j'attends de la part de mes partenaires, et à ce que le sexe queer représente pour moi. Lorsque je suis à la recherche de nouvelles ou de nouveaux partenaires ou que je communique simplement dans mon coulpe libre et non-monogame, j'ai découvert que je peux exprimer mes besoins sans crainte.
Les jours où je m'offre un nouveau sex-toy ou de la lingerie, je peux me sentir en confiance dans la façon dont j'aborde mon corps, avec une douce bienveillance envers celui-ci et ses préférences. Mon acceptation a fait de moi une meilleure partenaire potentielle, une personne qui n'hésite pas à revendiquer pleinement l'étiquette bisexuelle sur les applications de rencontre, une personne qui n'a pas peur de demander à mes partenaires quelles sont leurs préférences sexuelles, une personne qui est pleine d'amour pour elle même et pour son identité queer. Seule ou en couple, il m'est arrivé de me sentir à la fois restreinte et libre.
Contrairement à ce que mon amie m'a chuchoté au bar ce soir-là, cette femme ne m'a pas brisé le coeur. Au contraire, elle m'a permis d'accepter, plus complètement, toutes les facettes de qui je suis. Et même si nous ne nous voyons plus, à bien des égards, elle continue de me toucher.
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